Lundi 29 août, c’était le jour de ma rentrée. Mes enfants étaient censés aller chez leurs grands-parents pour ces quelques jours de latence, entre l’école et les vacances. Seulement voilà, un Covid est passé par là et des enfants sont donc restés par ici. Comme le furet enfin. Car elles courent, elles courent, elles aussi. Autour de la table du salon.

Le problème c’est que j’ai du travail, des mails auxquels je dois répondre, des délais à respecter et surtout ENVIE de reprendre. Envie d’être devant mon ordinateur, envie d’aller au bout de mes projets, envie d’avancer dans mon année.

Alors j’explique à mes filles. Elles sont trop petites mais j’explique car on n’obtient jamais rien en sous estimant les gens, que je vais travailler un peu et qu’il faut qu’elles ne me dérangent pas, qu’elles jouent toute seule pendant une heure et qu’après on ira au parc.

Et pendant un certain temps ça fonctionne. Je travaille en bas sur la table du salon, leur père travaille en haut dans le bureau. Je fais du chocolat et il fait un gâteau. En quelque sorte.

Au bout de quelques minutes, vient la première question. Puis la deuxième, puis la troisième. À la quatrième, à moins que ce ne soit la cinquantième, je décide moi aussi d’en poser une, de question : « mais pourquoi vous m’empêchez de travailler moi et jamais papa ? »

Réponse immédiate : « Mais papa il a la porte fermée, on ne peut pas le déranger.« 

Je n’ai rien répondu. J’ai juste constaté que c’était vrai et que depuis leurs naissances, je ne fermais plus de porte. Je ne ferme plus la porte de ma douche, plus celle des toilettes, plus celle de mon bureau et surtout, je ne ferme plus toutes les portes métaphoriques de la vie.

Je ne ferme plus la porte de l’appel de l’école ou de la crèche en cas de maladie. Je ne ferme plus la porte du tour au parc bien que je n’ai pas le temps de le faire juste parce que je n’imagine pas une journée d’enfance entre quatre murs. Je ne ferme même plus la porte de mon sommeil car je les entends. Quoi qu’elles fassent et quoi que j’ai pu faire de ma soirée, si elles m’appellent en pleine nuit, je les entends.

Je ne ferme plus mes portes car les hommes ferment bien souvent les leurs et si on est deux à fermer nos portes, alors que se passe-t-il ? La parentalité est parfois un duel dans lequel les hommes se sont retournés et ont fermé leur porte en premier. Mais si les hommes ferment leur porte, c’est aussi, sans doute, parce que nous laissons la nôtre entre-ouverte.

Seulement voilà, ma mère ne savait pas non plus fermer une porte et ma grand-mère n’a pas eu d’autre choix que de laisser la sienne ouverte. Alors je reproduis, par mimétisme, par habitude, par culpabilité. Parce qu’inconsciemment, la société attend des femmes qu’elles laissent leur porte ouverte et que cette même société leur a appris auparavant à être sages et à respecter les règles.

Beaucoup de femmes ont l’impression qu’il est impossible de fermer leur porte. Du moins, moi, j’ai cette croyance.

Mais si je ne ferme pas ma porte, alors comment puis-je espérer qu’un jour ma fille ferme la sienne ? Cette culpabilité que j’éprouve, ne la ressentait-je pas bien davantage plus tard, quand ma fille ne parviendra pas à fermer sa porte à elle ?

La frustration d’aujourd’hui est la libération de demain. Nous avons la clé. À présent fermons nos portes.

Sophie Astrabie