Ma petite fille,

Dans quelques jours ce sera la fête des mères, alors bien sûr, j’ai pensé à toi.

Avant toi, j’avais une mère. Depuis toi, j’en suis une. Et peut-être qu’un jour, voudras-tu toi aussi le devenir ? Peut-être.

Dans le monde dans lequel je suis née, être mère était une destination. Quand j’essaie de réfléchir à mon désir de maternité, je ne parviens pas à savoir si c’est une envie ou bien une sorte de suite logique que l’on ne questionne pas.

Je ne savais même pas qu’un autre chemin était possible. D’ailleurs l’était-il ? Je vois bien aujourd’hui à quel point certaines femmes le construisent, cet autre chemin. Et à quel point ne pas vouloir être mère est perçu comme de l’égoïsme, tout comme ne vouloir l’être qu’une seule fois.  Car oui, c’est subtil, l’égoïsme. C’est genré, aussi. Les femmes auront toujours l’incompréhension quand les hommes récolteront au pire, l’indifférence.

Un jour tu seras peut-être mère. Parce que tu l’auras choisi et que ce sera le bon moment. Cela ne t’empêchera pas de trouver cette tâche difficile. Tu sais, un jour quand j’étais enfant, ma mère m’a montré son CV. Dessus il était écrit son prénom, son nom, son statut marital et puis en-dessous cette ligne “Deux enfants”. Je me suis souvent demandée pourquoi elle l’avait mentionné sur cette feuille de papier qui parlait pourtant de ses compétences professionnelles. Et puis j’ai compris. On ne devient pas seulement mère pour la vie. On le devient partout, tout le temps.

Dans chaque sphère de ma vie, je suis mère. Quand je suis en déplacement professionnel, on me demande qui s’occupe de toi. Quand on te dépose chez tes grands-parents, on me demande à moi, si j’ai pensé à mettre ton maillot de bain dans la valise pour aller à la piscine. Quand je pars en week-end avec des copines, on me demande si ton papa va y arriver.

La vague d’amour qui est venue avec ta naissance a été accompagnée d’une seconde vague qui m’a fait un peu boire la tasse. La fin de l’apparente égalité entre les hommes et les femmes. La fin de mon identité propre : Sophie n’existait plus, désormais, aux yeux de tous, je serai mère. J’ai cru, j’ai vraiment cru que j’allais disparaître.

Et puis un jour, j’ai compris qu’à ta naissance j’étais devenue mère mais j’étais aussi devenue femme. J’ai compris que mon identité était un combat et la fille qui existait avant, une personne à défendre. J’ai compris que les choses seraient plus difficiles mais aussi que seule la difficulté offre de belles victoires.

Ma petite fille, un jour peut-être tu seras mère. Mais la seule certitude, c’est que tu seras toujours toi. Et rien ne se défend plus fort que l’amour que l’on se porte car c’est là, seulement là que prend la source de celui que l’on donne.

Sophie Astrabie