J’ai affreusement honte. Je viens d’enfermer une femme dans un stéréotype franchement ras-les-pâquerettes.
C’était la réceptionniste d’un institut de beauté. Vous voyez venir le truc ? Elle m’a apporté un café en salle d’attente et on a discuté un long moment. Je lui ai dit que je venais d’emménager dans le quartier, elle m’a répondu qu’elle aussi, et puis soudain, elle a chuchoté sur le ton de la confidence : « c’est parce que je suis mariée avec le maire. » Et alors là – j’ai vraiment honte – pendant quelques très longues secondes je suis restée bouche bée.
Apparemment, dans ma tête, les réceptionnistes n’épousent pas les hommes politiques, ou en tout cas pas celui-ci. Pourtant ma tête est celle d’une féministe revendiquée, qui réfléchit tant aux questions d’égalité qu’elle en a fait son métier. Alors pourquoi avoir réduit cette inconnue, inconsciemment, à l’horrible catégorie « blonde gentillette » ? Pourquoi avoir douté de la véracité de ses propos ? Pourquoi avoir été surprise que « une femme comme elle » épouse « un homme comme lui » ?
Certes, nous sommes des êtres de jugement. Pour fonctionner au quotidien, notre cerveau range et trie, de préférence de façon binaire et simplifiée. « Système 1, système 2 », disait le psychologue Daniel Kahneman : un système cognitif instinctif, qui cherche à aller vite en appliquant des catégories existantes ; et puis un autre système qui prend le temps de l’analyse. Et notre cerveau, souvent, déraille. On fonctionne à l’affect en croyant être rationnel, on croit dur comme fer à des idées saugrenues si elles sont validées par d’autres, etc. Ce sont les fameux « biais cognitifs », qui entraînent des distorsions du raisonnement. En vérité, bien avant la mode des neurosciences, le philosophe Bergson s’alarmait déjà de notre tendance à ne pas voir les choses pour ce qu’elles sont : « nous nous bornons, le plus souvent, à lire des étiquettes collées sur elles. »
Donc, ça arrive à tout le monde. Pour autant, est-ce que cela m’excuse ? Non. Car au-delà des distorsions de mon cerveau, ou de la paresse qui m’amène à coller des étiquettes sur les gens, se pose une question éthique : qui ai-je envie d’être ? Une femme qui juge les autres femmes sur leur apparence, leur métier, leur statut social ? Ou bien une femme qui se met vraiment à l’écoute, qui se questionne, qui accueille la complexité des choses de la vie ?
Le 8 mars approche, Journée internationale des droits des femmes, et c’est l’occasion de se rassembler pour agir contre nos droits encore bafoués, pour rendre visible nos luttes et célébrer nos progrès accomplis en faveur de l’égalité. C’est aussi l’occasion de se rappeler que nos stéréotypes du quotidien sont autant de barrages pour changer les mentalités. Qu’ils prennent racine dans la misogynie ordinaire, celle que l’on a normalisée et internalisée sans y penser. Qu’ils nous incitent à nous juger, nous comparer, nous évaluer négativement, et, ce faisant, nous dressent les unes contre les autres. Qu’ils nous empêchent de nous unir pour avancer ensemble.
Alors, à la question « quelle femme ai-je envie d’être ? », je crois que je voudrais répondre : une femme qui laisse les autres femmes vivre comme elles l’ont décidé. Habillez-vous comme vous voulez, devenez parent ou pas, aimez qui vous aimez, soyez comme ça vous chante. Vivez à fond votre formidable singularité.
Qui suis-je pour juger ? Personne.
La femme que je veux être, c’est celle qui vous soutient dans votre liberté.