Imaginez. Un jour, vous allumez votre télévision et vous tombez sur Anne-Claire Coudray, présentatrice du journal de 20 heures sur TF1, sans maquillage. Pas de mascara, pas de fard à paupières, pas de fond de teint. Rien. Enfin rien. Juste elle, en fait.
C’est la fin du journal. Anne-Claire tapote ses notes sur son bureau et sourit à la caméra jusqu’à ce qu’elle rende l’antenne. Le direct s’est bien passé et elle est plutôt satisfaite de son édition. Encore quelques secondes et elle va pouvoir se lever pour rejoindre sa loge.
Imaginez maintenant la scène qui suit. Elle quitte le plateau et passe devant le cadreur qui lui dit d’un air inquiet : “ Ça va Anne-Claire ? Tu as l’air fatigué.”
Ce soir-là, 5 millions de personnes devant leur poste de télévision se sont sûrement dit la même chose. Anne-Claire… elle a l’air fatigué, non ?
“Tu as l’air fatigué.”
Cette phrase, vous la connaissez. Vous l’avez même entendue à chaque fois que vous avez fait le choix d’aller au bureau sans maquillage. Un collègue, une collègue peut-être. Quelqu’un de bienveillant à priori. Quelqu’un qui vous regarde et veille à votre bien-être… en apparence.
Car cette phrase qui semble pleine d’empathie, n’est en fait rien d’autre qu’une énième forme de pression sociale.
Ce jour-là, sans doute, vous n’aviez pas envie de vous maquiller. Mais avez-vous davantage envie d’entendre que vous êtes fatiguée alors que vous êtes en pleine forme après une nuit de 12 heures ? Non. Alors le lendemain, vous vous maquillerez pour ne pas apprendre que votre tête, au naturel, est celle d’une personne au bout du rouleau.
Pourquoi le maquillage serait “interdit” pour une partie de la population et “obligatoire” pour une autre partie ?
Pourquoi nous plions-nous à cette injonction sociale ?
Sans maquillage, j’ai l’air fatigué… par rapport aux autres.
Le maquillage, c’est un moyen de s’embellir en suivant des critères de beauté crées par une culture. Dissimuler ses cernes, agrandir son regard, réhausser son teint… Si toutes les femmes se maquillent, il est difficile de ne pas le faire. Dans un monde où l’apparence règne, il peut y avoir une forme de “désavantage” à ne pas se maquiller. Autrement dit, on se sent moins belle, par rapport aux autres.
Sans maquillage, j’ai l’air fatigué… par rapport à mon image habituelle.
La première fois que je me suis maquillée, j’ai mis du crayon khôl. Ou plutôt, une copine m’a mis du crayon khôl. Quand je me suis regardée dans le miroir, je ne me suis pas trouvée plus jolie. Je me suis juste trouvée plus… bizarre. Pourtant, j’ai continué… et je me suis habituée.
C’était il y a quinze ans.
Aujourd’hui, je me maquille moins. Moins souvent déjà mais moins en quantité aussi. Si au début j’avais clairement l’impression d’être moins “jolie” les jours où je ne me maquillais pas, j’ai remarqué que cette sensation était moins forte au fil du temps. Comme si je me réhabituais à quelque chose. Ce quelque chose, c’est mon image.
Et si le maquillage, c’était avant tout une question d’habitude ?
Dans ce monde parallèle où Anne-Claire Coudray ne serait pas maquillée, je me suis d’abord dit qu’après tout, c’était à elle de faire le premier pas. À elle de présenter les informations sans maquillage et de faire passer le message qu’il était possible d’être regardée comme on était vraiment.
Et puis en fait non. Le problème du maquillage vient surtout de ceux qui le regardent.
Alors le premier pas, c’est aux 5 millions de téléspectateurs de le faire. À eux de se retenir de faire une remarque, même dans l’intimité de leur foyer. Après tout, c’est juste une question d’habitude.