« Joyeux anniversaire Camille ! Tu sais qu’à 27 ans, j’avais déjà Caroline, Stéphanie, et j’étais enceinte de 8 mois de Maxime. Tu es en retard (emoji mdr) Bonne soirée et gros bisous (emoji bisous) »

Le 25 novembre, c’est ma répétition générale. Un mois pile avant Noël : mon anniversaire, et les surprises qui vont avec.

Cette année, j’ai reçu ce message de ma tante. Et pour cause – depuis le 25 novembre 2023, je suis un utérus de 27 ans. Et comme tous les utérus de 27 ans, je suis sommée d’enfanter au plus vite. 

Le texto d’anniversaire me rappelle à ma condition. J’en conviens, et je réponds :

« Merci ! Oups en effet je suis pas au niveau on dirait (emoji oups) Gros bisous !! (emoji bisous) »

La vérité c’est que je n’ai pas été blessée par la boutade. Ma réponse est sincère, affectueuse, comme les vœux de ma tante. Pas de pots cassés, donc. Une répétition générale, néanmoins, qui me rappelle un sentiment étrange et familier : face à une remarque embarrassante, les scénarios qui défilent : ignorer, rétorquer, clore le débat ? 

Je dois dire que, de façon générale, je suis plutôt de celles qui mettent les pieds dans le plat. 

Plus jeune, j’ai dû ériger la lucidité comme valeur phare : tout, mais ne pas me voiler la face. Aujourd’hui j’en reviens et, si je garde un attachement à la lucidité, j’ai compris que toute vérité n’était pas bonne à dire, ni à savoir. Et, surtout, que les pieds dans le plat n’impliquaient jamais seulement celle qui les mettait, dans le plat, les pieds. 

Je me suis plusieurs fois retrouvée à prendre conscience d’une injustice – managériale, familiale, ou autre. Mon réflexe, chaque fois : dénoncer haut et fort ladite injustice. 

Il m’est arrivé, au travail, d’avoir des revendications. Les verbaliser aurait trahi un diagnostic sans complaisance. Si je parlais, mes collègues seraient interrogées : partageaient-elles ce constat ? Bien qu’allant dans le sens de meilleures conditions de travail, ma parole devenait une menace pour qui ne souhaitait pas se prononcer. Ma prise de position les engageait. 

Il a donc fallu composer ensemble, à la recherche d’un équilibre entre la tendance à nommer les choses, quitte à mettre en péril l’équilibre du collectif, et, à l’autre bout du spectre, la volonté de préserver l’équilibre avant tout, quitte à mettre un peu de poussière sous le tapis.

Cette composition, je la retrouve dans toutes les formes de collectifs, à commencer par la famille.

Noël approche, et je me pose la question : à quel prix continue-t-on de mettre la poussière sous le tapis, et surtout, qui paye ce prix ? Qui arrondit les angles, apaise les tensions ? Le plus souvent, ce sont les mêmes : les mères, les filles, les cousines, qui sortent des périodes de fêtes ou de vacances avec un grand soulagement et beaucoup de fatigue. D’avoir anticipé, canalisé, rattrapé, cuisiné…

Et puis, je me rappelle la sécurité que procure la stabilité des collectifs qui, aussi dysfonctionnels soient-ils, ont le mérite de tenir.

Alors, je comprends que l’on persiste, année après année, à inviter les mêmes personnages à jouer la même pièce de théâtre dans le même décor. 

Je comprends, mais ne résiste pas à l’envie de nous proposer, le 24 décembre, de tester quelque chose. Et si nous décidions, secrètement, soudainement, fugitivement, de sortir de notre rôle ? La charge mentale du parfait cadeau, du repas qui convienne à tout le monde, des sujets à éviter, des aînés à ménager. Et si on essayait ? Juste une fois, pour voir. 

Camille Lizop