Depuis toujours j’ai une peur. Et ce n’est pas l’échec. Non, ma peur, c’est la poursuite de la réussite jusqu’à l’acharnement. J’ai peur de gacher ma vie pour un rêve. J’ai peur de ne pas savoir renoncer ou bien de le faire trop tard. J’ai peur de continuer quand il faudrait arrêter. J’ai peur d’échouer, de recommencer, d’échouer encore et de recommencer par dessus. J’ai peur de l’espoir, celui qui nous rend irrationnel, et fou, aussi, un peu. J’ai peur de ne pas me rendre compte que c’est sans espoir justement, que je n’ai pas ce talent, ces capacités, ce petit truc en plus. J’ai peur d’être “pas mauvaise” dans ce que j’entreprends. Juste “pas mauvaise” ou “pas assez”. J’ai peur de l’appréciation sur le bulletin scolaire qui serait celui d’une vie : passable. Moyenne. Peut mieux faire. J’ai peur qu’on me regarde en levant les yeux au ciel. J’ai peur de ne pas me rendre compte de ma situation. J’ai peur de l’aveuglement, d’être la seule à ne pas être au courant et qu’un jour, trop tard bien sûr, on me dise, la main sur l’épaule : “Sophie. Il faut arrêter maintenant”.

 

J’ai peur de tout ça et j’y pense souvent. Quand faut-il abandonner ?

 

Dans le film “Le grand bain” de Claude Lellouche, il y a ce personnage qui m’émeut et me touche plus que les autres. Ce personnage qui représente exactement ce qui constitue ma plus grande peur : le mec qui essaie toute sa vie de devenir une rock star quitte à servir de la purée tous les midis à la cantine de sa fille, une charlotte sur la tête et qui ne voit pas qu’il n’en sera jamais une (Pas une charlotte. Ni une purée d’ailleurs. Une rock star je veux dire). Ce personnage, c’est celui joué par Jean-Hugues Anglade, et de tous les rôles de “loosers” présents dans ce film, le dépressif, l’alcoolique, le chef d’entreprise en faillite, l’ancienne sportive fauchée en pleine ascension, c’est toujours à lui que je pense. Pourquoi ne voit-il pas qu’il faut laisser tomber ? S’il ne le voit pas, alors pourquoi le verrais-je moi, me concernant ?

 

Si les gens insupportables savaient qu’ils l’étaient, ils feraient quelque chose, non ? Peut-être qu’on ne sait pas au final.

 

Je pensais à tout ça l’autre jour et je me suis dit que peut-être alors, l’espoir était un piège. Et c’était surprenant parce que moi ce que j’en savais de l’espoir, c’est qu’il faisait vivre ! Alors dans une forme de syllogisme boiteux je me suis dit, la vie est un piège, et c’est à ce moment-là que je me suis dit que vraiment, il fallait que je me calme : j’allais dans la mauvaise direction.

 

J’ai une sorte de mantra dans la vie, c’est que le temps passé à être malheureux est le même que celui passé à être heureux. Une heure à pleurer ou une heure à rire, sera toujours une heure. Alors quand j’attends une réponse, je l’attends en me disant qu’elle sera positive. Et la désillusion d’apprendre qu’elle est négative durera de toute façon moins longtemps que l’attente pleine d’espoir. 

 

C’est là que je me suis aperçue que tout est une question de durée. Et d’espoir. C’est là que je me suis aperçue aussi, que vivre dans l’espoir c’était peut-être une des plus jolies vies.

 

Est-ce que Simon, le rockeur raté, n’est pas le plus heureux des cantiniers ? Au final, qui échoue ? Celui qui vit ou celui qui regarde et juge ? Et puis à quel moment est-ce un échec si nous n’abandonnons jamais ? Peut-être que Simon sera une rock star le jour de sa mort, par une sorte de concours de circonstances que je vous laisse le soin d’imaginer.

 

Et puis je me pose toujours la question : que se passe-t-il lorsqu’on réussit ? Que ce passe-t-il dans la tête des gens qui atteignent leur rêve ? Ne sont-ils pas plus vides que remplis, soudainement ?

 

Simon n’est pas si malheureux lorsqu’il sert ses purées. D’ailleurs, de tous les “loosers” du film, il est le moins malheureux. En y réfléchissant, il ne l’est peut-être même pas, malheureux. Il est triste du regard que sa fille pose sur lui, mais il n’est pas triste de son regard sur lui même. Il est une rock star d’étal de fromages dans un supermarché, mais au final, pourquoi la réussite devrait avoir des degrés ? Et puis il ne sait pas encore, ce que l’avenir lui réserve. Pour le moment il chante. Peut-être qu’un jour des gens seront là pour lui et pas pour le fromage. 

 

Je me pose alors la question, est-ce que la réussite, ce n’est pas bien vivre l’attente d’un résultat et de ne jamais abandonner ? Franchement, je n’en sais rien. 

 

Le seul problème de Simon est qu’il ne gagne pas très bien sa vie. Peut-être qu’il ne part pas beaucoup en vacances. Mais est-ce qu’il vaut mieux être malheureux toute sa vie et heureux en vacances ? Ou l’inverse ? Ça non plus je n’en sais rien.

 

La réussite c’est peut-être la possibilité de poursuivre sa vie. La chance de continuer de rêver. Quitte à échouer plusieurs fois ou même une seule mais à la fin. La réussite surtout, c’est de décider ce qu’on préfère nous. Et pas les autres. 

Texte écrit par Sophie Astrabie