C’est l’histoire d’une fille qui vit en colocation depuis six ans avec une autre fille. Elle s’appelle Lucie. Lucie a trente ans, elle travaille au service des fraudes de la CAF d’une petite ville du sud de la France. Elle aime bien se déplacer à vélo, collectionner les bouteilles de bières des pays qu’elle a visités et la couleur rose poudré. Lucie a eu un BAC L parce qu’elle aime bien lire des histoires et dans la vie, soit on aime lire, soit on aime compter, soit on n’en sait rien.
Parfois, le soir, elle s’installe sur la terrasse de son appartement, elle allume une cigarette et elle écrit des histoires qui l’embarquent dans d’autres vies que la sienne.
Après le bac, Lucie a fait une licence en langues étrangères appliquées parce qu’elle aime bien parler d’autres langues. Parler d’autres langues et boire des bières françaises avec les étrangers qui viennent dans son pays.
Mais une fois diplômée, elle n’a pas trouvé de travail. Il faut dire que parler avec des étrangers, depuis quelques années, c’est un peu bouché.
Alors elle a accepté un boulot parce que son père connaissait quelqu’un qui connaissait quelqu’un. Et que c’était une chance qui ne se refusait pas. La chance, ça ne se refuse pas.
Lucie a dit d’accord, et finalement, ce n’était pas si mal. Le travail était intéressant, les collègues sympas et les horaires, arrangeants.
Tout allait bien.
Et puis il y a eu le confinement.
Et cette fille avec qui elle vivait depuis 6 ans, lui a brisé le coeur.
C’était peut-être sa manière de ne jamais fermer correctement les bouteilles. Ou bien les tasses de thé qu’elle entassait dans l’évier. Les pizzas qu’elle oubliait toujours de retirer du four. Ou simplement l’amour qui s’use et fout le camp en claquant la porte. Lucie n’en sait rien. Sans doute parce qu’il n’y a rien à savoir, que “c’est comme ça”, que les sentiments ont la liberté de filer sans autorisation de sortie.
En attendant, Lucie doit expliquer à tout le monde pourquoi sa colocataire déménage. Et aussi, pourquoi elle pleure.
Six ans que Lucie ment à tout le monde. Six ans qu’elle ne présente personne à ses parents. Six ans qu’elle passe beaucoup de temps avec cette fille, qui elle non plus, ne présente personne à ses parents.
Six ans que la famille, les amis, l’entourage, ne tendent aucune main à Lucie pour qu’elle se libère de ce secret qui la ronge et l’empêche d’être aimée à la terrasse d’un café.
Comment ne pas voir les secrets de ceux qu’on aime ? Pourquoi baisser le regard devant les évidences ?
Alors voilà. Lucie qui n’a rien dit pendant six ans sur sa joie d’être aimée, se retrouve à envoyer des messages à sa famille pour leur parler de sa tristesse. Celle qu’elle n’arrive plus à surmonter. Elle est si désemparée, qu’elle est obligée de faire son coming-out maintenant, alors qu’elle n’a plus personne à présenter.
Cette histoire, on me l’a racontée hier. Je venais juste de lire cette phrase sur Internet qui disait que 81% des femmes en France déclarent avoir été victimes de harcèlement sexuel dans les lieux publics. Seulement 20% déclarent avoir été aidées par quelqu’un.
Et je me suis dit qu’il était là le problème, dans cette capacité à faire semblant de ne pas voir. Et cette forme de lâcheté à ne pas agir.
En faisant cela, on laisse des personnes dans une détresse immense. Alors que pour nous, c’est juste une main tendue.
Voici une vidéo à voir absolument. Pour son message premier bien sûr. Mais aussi pour la métaphore générale qu’elle renferme. Ne faisons pas semblant de ne pas voir les évidences.
C’est l’histoire d’une fille, mais finalement, c’est l’histoire de toutes les filles.
Cliquer sur l’image pour regarder la vidéo
Article rédigé par Sophie Astrabie.