« Ils ne savaient pas que c’était impossible alors ils l’ont fait. »
Je pense souvent à cette phrase de Mark Twain. Je me demande ce qu’elle veut dire. Ce qu’elle veut dire, vraiment. Nous mettons-nous nos propres barrières ? Nos échecs ne sont-ils dû qu’à une appréciation subjective de nos capacités ?
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Il y a quelques jours, je suis tombée sur cet article du Monde qui avait pour titre « À Normal-Sup, les concours sans oraux ont fait bondir la part des femmes admises. » Bien évidemment, cela m’a interpellée.
Voici ce que cet article dit. En 2020, 67% des admis issus de classes préparatoires sont des femmes, contre 54% en moyenne sur les cinq dernières années. Or ces « nouveaux » chiffres sont à l’image du vivier des candidats puisque un quart des candidats inscrits en classe préparatoire sont des hommes. J’espère que vous suivez.
Vous pouvez relire sinon, je vous attends.
Ce que cela semble dire, c’est que la phase de l’oral lisserait ce déséquilibre en faveur des hommes (ici le sexe minoritaire) : davantage de femmes se présentent au concours mais on arrive au final à une sorte d’égalité homme-femme dans le nombre d’admis. Cela permet d’avoir des promotions plus équilibrées et après tout, pourquoi pas. L’égalité on en est convaincue, c’est bien. En plus, avec une épreuve subjective comme l’oral, cet équilibre est facile à créer. Mais quand l’oral saute, ça l’est un peu moins.
Ok, admettons que cela, ce lissage subjectif, constitue une part de l’explication. Mais peut-être aussi, surtout, tout simplement, les garçons sont meilleurs à l’oral et rattrapent naturellement les filles sur cette épreuve.
Mais alors pourquoi les garçons seraient-ils meilleurs à l’oral ? Autrement dit, pourquoi les filles échoueraient-elles davantage à cette étape ?
Alice Olivier, maîtresse de conférences en sociologie à l’Université de Lille explique que « Les épreuves orales font appel à des capacités qui sont davantage encouragées chez les garçons, en particulier la confiance en soi, la capacité à parler en public, l’aisance dans le rapport aux autres, l’esprit de compétition. Tout au long de leur scolarité, les garçons sont plus souvent interrogés à l’oral, on met davantage en valeur leurs qualités intellectuelles, ils développent davantage de relations avec les enseignants. »
De plus, Joëlle Alazard, professeure d’histoire en khâgne à Lille ajoute que l’épreuve orale est un environnement plus compétitif auquel les filles sont moins bien préparées.
Les filles supporteraient-elles moins bien la pression ?
La professeure continue en disant qu’à l’approche des concours, les filles se montrent « moins sûres d’elles » et certaines même, envisagent de ne pas se rendre à l’oral. « Je ne vois pas cela chez les garçons » conclue-t-elle.
J’ai réfléchi à cet article, à ce que je venais de lire.
Il y a les faits, bien sûr : quand je vais chez mes grands-parents et que mon grand-père n’est pas là, j’ai la chance d’entendre ma grand-mère me raconter des histoires, donner son avis, parler. Quand mon grand-père arrive, c’est automatique : elle est contredite dans les dates ou les faits, il dit « mais tu l’as déjà raconté trente fois… » ou bien il lui coupe la parole en parlant plus fort. Il ne le fait pas exprès, ce n’est pas méchant : c’est en lui.
Chez moi, c’est comme ça et ça a toujours été comme ça. Je vous invite à observer chez vos parents ou vos grands-parents, de quelle manière s’organise les discussions, mais moi, c’est de cette manière que je me suis construite. C’est MON exemple.
Or comme le dit P.-M. Baudonnière, directeur de recherche au CNRS, « l’imitation est à la base du processus d’humanisation et de l’avènement de la culture ». C’est l’imitation qui serait véritablement le propre de l’homme. (ou de la femme. Bref)
Il y a les faits donc. Et puis il y a nous. Notre faculté à conscientiser les choses pour les dépasser. Je ne suis pas moins forte à l’oral qu’un garçon, je suis juste la somme des femmes contraintes au silence, qui m’ont précédée. Je suis ces discours de « pères » au mariage de leur fille ou fils, quand traditionnellement, la mère n’a pas à le faire. Je suis ces statistiques des femmes qui parlent deux fois moins longtemps que les hommes dans les médias. Je suis toutes ces interdictions : faire du vélo, travailler, avoir un compte en banque. Je suis des phrases comme « sois belle et tais-toi ». Je suis ces levées de fonds que les femmes n’obtiennent pas. Je suis ces statistiques et ces probabilités. Comment réussir à être Premier Ministre en France, quand de tout temps, une seule à réussi à le faire ?* C’est NOTRE exemple.
Alors je pense à Mark Twain et je me demande si les femmes ne savent pas que c’est impossible et que c’est pour cette raison qu’elles ne le font pas.
Et c’est ça, aussi, l’échec.
Ne pas faire, ne pas essayer.
Mais ne ressentez-vous pas non plus, en lisant tout ça, une forme d’injustice qui chauffe un peu le corps ? Une sorte d’explication qui éclaire, qui permet de comprendre et donne des outils pour changer les choses. Il y a dans l’échec une part de sexisme et ce n’est pas une excuse. Ce n’est pas une plainte non plus. C’est un constat. Une explication.
C’est une raison pour faire changer les choses.
Car en fait, c’est tout a fait possible. Sauf que maintenant on le sait.
Article rédigé par Sophie Astrabie.
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