Silke Muller

Vous arrive-t-il parfois, de vous dire que vous ne connaissez pas vos voisins ? Que vous connaissez leurs noms sur leur boîte aux lettres mais que vous n’avez aucune idée de qui ils sont finalement ? 

Moi oui.

Et cela me fait le même effet avec mes voisins européens. Je connais un peu l’Espagne, l’Italie, l’Angleterre… une histoire de tapas, de focaccia et de… non rien. Mais je ne connais pas les règles qui régissent leur société. Leur histoire, leurs droits, leurs non-droits. 

L’autre jour, je découvre cette info dans la presse : en Pologne, l’IVG devient illégale. Je suis forcément choquée. Paris Varsovie, ça pourrait presque être une étape du Tour de France. Mais quand je regarde de plus près, je me rends compte que c’est pire que ce que cela semblait être. En fait, en Pologne, l’IVG est déjà interdite. Sauf dans trois cas.

  • Grossesse résultat d’un viol ou d’un inceste
  • Menace pour la vie ou la santé de la femme enceinte
  • Foetus atteint d’une malformation grave et irréversible

Donc si vous avez 16 ans et une éducation sexuelle lacunaire ce n’est pas possible. Si vous en avez 32 et un problème de préservatif avec un parfait inconnu, ce n’est pas possible. Si vous avez 28 ans et déjà un mal fou à nourrir vos deux enfants, ce n’est pas possible. Ça, c’est la Pologne.

Et depuis quelques semaines donc, il ne serait plus possible d’avorter en cas de malformation grave et irréversible du fœtus. Soit dans 95% des cas.

Ce n’est pas la première fois que le gouvernement tente d’interdire l’avortement. Et vous savez ce que l’on pense tous et toutes de l’insistance : ce n’est jamais bon signe. En 2016 déjà, il y avait eu une tentative. Puis en 2018. Et puis là, le 22 octobre 2020.

Sarah, une membre franco-polonaise du Curiosity Club nous a contacté. Cette loi, c’est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Une amie vivant au Sud de la Pologne lui a écrit pour lui demander si elle suivait ce qu’il se passait là-bas, dans ce pays qui est moitié le sien. Et c’est vrai que l’on suit. Mais de loin.

Cette amie lui a dit que “sociologiquement et politiquement, ce qui se passe actuellement est très intéressant. C’est la jeune génération qui manifeste” et à travers les bannières, on sent que c’est une génération plus libre et moins docile.

 

Crédit photo : Angelika Kaiser @andziahe

 

Sur cette photo, Alicja Baś montre « No woman, no kraj » ce qui signifie  » Pas de femme, pas de pays ».

La colère latente des Polonais contre le parti nationaliste Droit et Justice et la puissante Église Catholique qui le soutient est en train d’exploser. Des manifestations réunissant des dizaines et des dizaines de milliers de personnes ont lieu dans le pays depuis des semaines. Alors que se réunir, se frôler, c’est pas vraiment la tendance générale.

 

 

Cette colère populaire dépasse largement la cause des partisans de l’avortement. « Il ne s’agit pas de savoir si l’on est pour ou contre l’avortement. Il s’agit de chaque femme de décider de sa vie et de sa santé. Ces manifestations sont aussi l’expression de l’opposition et de la puissante colère des femmes contre le patriarcat du gouvernement conservateur et de l’Église catholique en Pologne. » affirme Dominika, habitante de Varsovie.

Le pays semble souder dans cette démarche.  Dans ce ras-le-bol.

 

Olga a 39 ans et elle est Polonaise. En 1990 elle a émigré avec sa famille en Allemagne avant de revenir s’installer 15 ans plus tard en Pologne, à la campagne.  Il y a 3 ans, elle prend le rôle de coordinatrice de l’action « Sauvons les femmes » (#RatujmyKobiety). Ce collectif a réuni en 2017, plus de 500 000 signatures pour soutenir la création d’un droit à l’interruption volontaire de grossesse durant les trois premier mois de grossesse. Mais le texte législatif a été rejeté par les députés polonais, à 202 voix contre et 194 pour.

 

Dans le cadre de cette action, Olga a recueilli des signatures pour ce projet de loi en allant de porte à porte et en parlant aux hommes et aux femmes, toutes générations confondues. Elle décrit même cette expérience sur son blog.  « Personne n’a refusé de signer », raconte-t-elle. Pas même cette femme âgée, pourtant contre l’avortement et l’éducation sexuelle à l’école. Après une longue conversation, elle a fini par signer. Olga se souvient avoir apprécié le dialogue, au-delà des clivages politiques. « Les deux parties ont fait preuve de respect et d’intérêt. C’était une expérience très précieuse pour moi ». Sur son blog elle conclut : « J’observe que le féminisme en Pologne a cessé d’être un phénomène marginal et qu’il fait désormais partie du tissu de notre société – indépendamment du genre ».

Aujourd’hui Olga se dit « en faveur d’un accès complet à l’avortement et d’un choix total des femmes – avec une prise en charge psychologique et sociale ».  « Je ne considère pas l’avortement comme une procédure innocente ». Malgré sa position, elle a choisit de ne pas participer aux manifestations car elle ne se reconnaît pas dans cette « énergie de violence, de vulgarité, de mépris ». Cependant, elle dit comprendre « la dynamique de ces protestations ». « Comprendre que cette colère doit trouver un exutoire ».

 

La Pologne, c’est nos voisines. Maintenant au moins, on sait qui elles sont : elles sont comme nous.

Pourtant, dans leur pays, nos voisines n’ont pas les mêmes droits que nous. L’avortement n’est pas une option sauf si. Sauf si elles descendent dans la rue pour défendre ce droit. Pour vous, pour moi c’est différent. À cause d’une histoire de frontière et cette éternelle question de l’arbitraire sur notre place géographique dans le monde, tout ça est différent. En France, avorter est un droit.

Alors pourquoi la France n’est-elle pas comme la Pologne et pourquoi la Pologne n’est-elle pas comme la France ? Une succession d’évènements passés peut-être. Lui a-t-elle manqué certaines femmes que nous avons eu la chance d’avoir et qui se sont battues pour nos droits ?

Une Simone Veil brandit peut-être actuellement son panneau derrière un masque au milieu de centaines de milliers d’autres femmes. Ce qui se passe maintenant en Pologne, ce n’est pas une ligne dans nos journaux. Ce n’est pas une ligne masquée par une actualité plus virale. C’est leur révolution et nous devons les regarder. Nous devons prendre conscience et les soutenir.

Ce sont nos voisines. Ce sont nos soeurs.

 

 

 

 

 

Article rédigé par Sophie Astrabie.

 

** Merci à Sarah pour ses recherches et son aide précieuses. On est/on a une communauté incroyable. **

Quelques hashtag pour trouver plus de visuels sur ce qui se passe en pologne : #rewolucjajestkobieta ou #solidaritywithpolishwomen