Quand je pense à l’échec, il y a une image qui me vient directement en tête. Et cette image chez moi, elle est imprimée et accrochée au dessus de mon bureau. Quand j’ai peur, quand je doute, quand j’ai envie de me rouler en boule en regardant Netflix, je n’ai qu’à lever la tête. Et ça m’apaise. Un peu.
J’aime bien cette image car je trouve qu’elle résume exactement la situation. Les gens qui essaient, ne savent pas encore s’ils vont réussir ou échouer. Mais les gens qui ont réussi savent qu’un jour, ils ont douté. C’est une question de perspective. Le doute, la peur, l’échec, sont des étapes de passage. Elles font partie de notre route.
En parlant de route.
J’ai horreur de la Formule 1. Quand j’étais petite, mon père regardait des grands prix le dimanche après-midi à la télévision et j’ai un souvenir d’ennuie terrible. Ce n’est pas tant que s’il y avait de la Formule 1, nous ne faisions rien. Mais davantage que s’il y avait eu Formule 1, alors c’est que nous n’avions rien fait. Ces voitures qui tournent autour d’un circuit, moi, je ne voyais rien d’autre que la problématique du poisson rouge. Je ne comprenais pas ce qu’il pouvait se passer de différent, quand des coureurs passent 70 fois au même endroit. Après tout, ne suffirait-il pas d’un seul tour pour définir un gagnant ? Puisque par la suite, ce serait soixante dix fois la même chose.
Quel ne fut pas le drame donc, quand mon mec, s’est mis à regarder la Formule 1. Pour vous décrire la sensation, c’était une sorte de madeleine de Proust mais avec du moisi à l’intérieur.
Mais bon, je n’ai plus 6 ans et si quelqu’un regarde de la Formule 1 dans mon salon, je peux toujours sortir de chez moi pour prendre l’air. Les joies de la majorité.
Bon. Mais l’autre jour, il s’est passé quelque chose d’incroyable apparemment, Pierre Gasly un coureur français de 24 ans a remporté le Grand Prix d’Italie. Ce qui est incroyable dans tout ça, ce sont les mots “vainqueur”, “français” et “F1” dans la même phrase. Car des vainqueurs, il y en a tous les Grand Prix. Mais des français, c’est plutôt tous les 24 ans. Puisque je vous rappelle que 1996, ce n’était pas hier mais il y a 24 ans. Et oui.
Bref, le 6 septembre 2020, le journaliste Julien Fébreau ne faisait que répéter “accélère accélère”, mon mec ne faisait que répéter “c’est incroyable, c’est incroyable” et bon, à la trente troisième fois, j’ai daigné lui demander pourquoi.
Et là il m’a raconté l’histoire de Pierre Gasly.
Il y a un an, Pierre Gasly apprend en pleine vacances d’été, qu’il est “écarté” de l’écurie Red Bull. La raison ? Manque de performance. Il faut dire que lors du Grand Prix de Hongrie, il se fait prendre un tour par Verstappen, un mec de son équipe qui a tendance à gagner. Manque de performance donc. C’est terrible car Pierre doit retourner chez Toro Rosso (Toro Rosso, c’est un peu comme quand vous mangiez vos Chocaplouc au petit-déjeuner alors que votre meilleure copine, elle, avait des Chocapic), l’écurie dans laquelle il avait débuté en 2017.
Donc pour résumer on dit à Pierre, “cool ! T’es bon, tu passes chez les forts en équipe 1 et puis non en fait, t’es nul, retourne de là où tu viens. En équipe 2.” Pierre devient Pierre-le-relégué.
Ce qui est terrible c’est qu’il y a des échecs qui ne se voient pas. Mais pas celui-ci. Celui-ci, c’est un échec qui se lit dans la Presse et qui se murmure sur son passage. Beaucoup en sont convaincus : il ne se relèvera pas.
Mais Pierre Gasly garde le silence. Il ne justifie pas ses mauvaises performances en disant que sa voiture n’était qu’un prototype de laboratoire pour la star de son écurie Max Verstappen. Il ne dit pas non plus que son ingénieur avait hésité entre mécanique et pâtisserie à la fin du lycée, et que c’était il y a 2 ans. (Un an plus tard, Mike Lugg, ce trop jeune ingénieur est renvoyé à l’usine. Mais ça, personne ne le sait encore, puisque ça n’a pas eu lieu.)
Et puis peu de temps après, le 31 août 2019, le drame. L’accident mortel de son ami Antoine Hubert lors d’une course de F2. Le genre de chose qui casse un être humain en deux, surtout dans une telle période de doute.
Mais renaître dans la difficulté, Pierre l’a déjà fait. En 2016, sur le route pour rejoindre les essais libres (séance d’entraînement le vendredi avant la course pour tester le circuit et la voiture) du circuit de Silverstone, sa voiture dans laquelle se trouvent alors ses deux parents, part en tonneau. Sa mère est en sang mais son père indemne lui dit “va faire ta course, je m’occupe de maman”. Le surlendemain, Pierre, les jambes tremblantes, gagne la course. Il n’avait rien gagné depuis 1015 jours. Sa mère était encore en soins intensifs.
Sauf que cette fois, la chute semble plus violente. Si Pierre était sur un circuit de Mario Kart, en 2019 il aurait vécu l’équivalent du combo banane-carapace de tortue-éclair rapetissant-chute dans la rivière. Mais contre tout attente, il a attrapé son étoile et puis il a gagné sa course quand personne ne croyait plus en lui.
Et le 6 septembre, c’est le podium et la marseillaise pour le plus jeune pilote français de tous les temps à s’imposer en Formule 1.
Alors, je n’aime toujours pas la Formule 1. Mais je veux bien croire qu’en fait, il faille faire plusieurs tours de circuit. Je comprends que les victoires ne se jouent pas en une seule tentative car il faut se donner le temps de tout remonter, d’affronter ses échecs, de faire preuve de résilience. Il faut beaucoup de persévérance et c’est parfois au 70ème tour, qu’on parvient à gagner sa course. Car c’est celui qui a continué d’essayer qui y arrive.
Article rédigé par Sophie Astrabie.