Vous êtes vous déjà posé la question “Et si j’étais née 100 ans plus tôt à quoi aurait ressemblé ma vie ?”

Avec le passage en 2020, et le constat terrifiant qu’à présent, 1990 est aussi éloignée de nous que 2050, je n’ai pas pu m’empêcher de penser à ça. 100 ans. C’est pas grand chose après tout. L’équivalent de nos arrières grands-parents à quelque chose près. 

Alors imaginons. 

Imaginons que l’année 1919 vient de se terminer. Avec elle, s’éloigne un peu plus l’idée de la guerre. D’ailleurs, en mars, le premier match international de football de l’après-guerre a eu lieu. Un match nul. 2-2 contre la Belgique. Une année les hommes se tirent dessus, celle d’après, ils jouent au ballon. 1919 c’est aussi l’année de l’avion, avec la première liaison aérienne comportant des passagers, entre Paris et Londres. En avril, une loi a fixé la durée du travail à 8 heures par jour et à 48 heures par semaine. En mai, la Chambre vote un projet de loi accordant le droit de vote aux femmes, mais le Sénat le repousse. Ce ne sera pas pour cette fois. Ni pour les cinq prochaines.

Imaginons.

Je suis née 100 ans plus tôt donc, en 1888. À l’aube de cette nouvelle décennie de 1920, je vis ma trente deuxième année. Quelle femme suis-je ? Quelle femme ai-je le droit d’être ? Finalement, quelle femme a été mon arrière grand-mère…? 

 

1920

Nathalie Sarraute a 20 ans.

Suzanne Lenglen a 21 ans.

Arletty a 22 ans

Elsa Triolet a 24 ans.

Agatha Christie a 30 ans.

Coco Chanel a 37 ans.

1920. Imaginons.

Je vis en France, comme 38 millions de personnes. La dernière fois qu’il y a eu aussi peu d’habitants dans mon pays, c’était en 1876. La guerre a fait des ravages. Mon espérance de vie à la naissance est de 56 ans. Je me suis mariée vers 24 ans et j’ai 2 ou 3 enfants. Disons plutôt trois, le taux de fécondité étant de 2,7. J’ai droit à un congé maternité de 8 semaines mais il n’est pas rémunéré. De toute façon, je ne travaille pas comme 70% des femmes. Pendant la guerre, j’ai travaillé pourtant. J’ai prêté main forte dans les usines mais à présent on nous incite à rentrer dans nos foyers et à faire des enfants pour repeupler la France. Alors qu’en plus, la fête des mères n’existe pas.

Si je travaillais, je serais moins payée qu’un homme de toute façon. C’est une évidence, sauf si je choisissais d’être institutrice, métier qui connaît la première application du principe énoncé par Hubertine Auclert, journaliste et militante féministe : « à travail égal, salaire égal ».

Si l’idée m’était venue d’épouser un étranger, je n’aurais pas pu conserver ma nationalité française. Je dois obéissance à mon époux car l’article 213 du Code Civil de 1804 indique l’incapacité juridique des femmes. Le principe d’égalité des droits entre hommes et femmes n’est même pas inscrit dans la constitution. Je ne peux pas obtenir un passeport sans l’autorisation de mon mari. Et je ne peux pas non plus avoir un emploi sans son autorisation ni disposer librement de mes biens propres. De toute façon, je n’ai pas grand chose puisque je n’ai pas d’argent. Et ça tombe bien parce que je n’ai pas non plus le droit d’ouvrir un compte bancaire.

Le port du pantalon n’est plus un délit depuis quelques années. À condition que la femme tienne un guidon de bicyclette ou les rênes d’un cheval. Un accessoire pas toujours évident à avoir sous la main vous en conviendrez. Mais dans les faits, les années 1920 pourraient être un tournant sur ce point-là, car porter le pantalon, cela commence à se “faire.”

Je n’ai toujours pas le droit de vote donc, car le Sénat bloque et continuera de bloquer ce droit chaque année jusqu’en 1944.  La vente de contraceptifs est interdite par la loi et l’avortement est un crime. Il existe des faiseuses d’ange, des femmes qui aident, au péril de leur vie, des femmes à avorter. Au péril de leur vie et de la nôtre car le taux de mortalité maternelle est élevée du fait de cette pratique. Les faiseuses d’anges qui sont arrêtés se font guillotiner.

Le Jazz, la radio, le cinéma font leur apparition. Ces années sont folles, un vent de liberté plane sur moi. Je suis sûre que tout va enfin changer.

Le meilleur est à venir.

 

Article écrit par Sophie Astrabie.