Laura a toujours été attirée par les métiers du social sans pour autant savoir celui qui lui correspondait le mieux. L’année du bac, elle démarche des classes préparatoires kiné. Mais en sortant d’un bac éco, tous les directeurs d’établissements qu’elle rencontre lui disent que même en travaillant 12 heures par jour, elle n’y arrivera pas. Car si n’importe quel bachelier peut entrer en prépa kiné, seuls quelques-uns réussissent ensuite le concours pour intégrer une école. 

Même si elle a eu le bac avec de bonnes notes, Laura a trouvé son année de terminale difficile. Elle en a marre de l’école. Marre du cadre scolaire et familial. Pour elle, l’année après le bac est synonyme de liberté et elle ne se sent pas prête à s’investir personnellement et financièrement dans un cursus aussi contraignant.

Sans grande conviction, elle se rabat sur l’idée d’un BTS. Elle postule à deux-trois d’entre eux, plus pour l’image qu’ils renvoient que pour le métier vers lequel ils débouchent. Elle candidate mais sans vraiment savoir ce qu’elle fait ni pourquoi elle le fait. Sans surprise, elle n’est prise à aucun d’eux.

Laura se retrouve avec le bac en poche mais aucune idée en tête. Elle décide de partir en STAPS simplement parce qu’elle aime faire du sport. D’ailleurs, assez vite, elle n’assiste plus aux cours théoriques. STAPS c’est un peu devenu sa salle de sport. Et cela aurait pu certainement durer longtemps si Laura ne s’était pas fait une grosse entorse à la cheville qui nécessitait une opération.

Laura se retrouve à aller travailler chez Mcdonald. Mais le jour où elle reçoit son premier salaire, c’est la douche froide. Elle qui a l’impression de passer sa vie au milieu des frites et des burgers, se rend compte qu’il n’y a que trois chiffres devant la virgule. Et puis aussi, surtout, elle a peur. Elle a peur parce que ses collègues sont des gens comme elle, mais qui finalement, ne sont jamais repartis. Alors elle démissionne et décide d’avancer.

Laura se demande ce qu’elle va bien pouvoir faire à la rentrée suivante. En buvant un verre avec une amie qui termine un BTS Négociation et Relation Client elle se dit “après tout, pourquoi pas”. Elle choisit l’alternance car elle n’envisage pas de rester tous les jours à l’école. Une fois diplômée, elle continue sur une licence en assurance : la condition pour pouvoir continuer à travailler dans l’entreprise qui l’emploie depuis deux ans. Et qu’elle aime bien.

Mais elle se rend compte que l’assurance, c’est pas son truc. Et puis aussi, elle a très envie de quitter sa ville natale dans laquelle elle a le sentiment d’étouffer. Alors pour s’enfuir, elle est prête à accepter des jobs qui n’ont rien à voir avec sa formation. C’est comme ça qu’elle devient bookeuse. Le lendemain de son entretien de recrutement, elle se retrouve à gérer les hôtesses pour un événement Nespresso au festival de Cannes. La semaine suivante, elle assiste impuissante, au malaise de l’une de ses collègues.

Sa supérieure lui lance alors un “t’inquiète pas, on y est toutes passées et ça t’arrivera à toi aussi”. 

Laura travaille d’arrache pied, sept jour sur sept, pour un salaire de misère. Lorsqu’on lui refuse une augmentation, elle pose sa démission. Hors de question qu’elle s’écroule sur le sol comme les autres.

“Et hôtesse de l’air alors ?” se dit-elle en découvrant ce métier à travers une de ses collègues qui l’exerçait avant de devenir bookeuse. Laura intègre une école d’hôtesse de l’air et obtient son diplôme. Plutôt que de rester les bras croisés lors de sa recherche d’emploi, elle décide de partir parfaire son anglais à Maltes. Le matin, elle suit des cours de 9h à 12h et le soir, elle est barmaid jusqu’à 5 heures du matin. Le tout, en continuant d’envoyer des dizaines de candidatures.

Elle n’obtient que des réponses négatives.

Alors au bout de 5 mois elle rentre et devient responsable commerciale pour une salle de sport. La pression du résultat est forte mais comme Laura remplit ses objectifs, le salaire n’est pas trop mal. Sauf qu’elle s’ennuie. Le travail est répétitif et pas très stimulant. 

Son père lui dit alors “Pourquoi tu ne reprends pas des études de kiné ? Tu sais qu’il est possible de le faire en Espagne…”.

À 25 ans, Laura ne se voit pas repartir pour 4 années d’études. Surtout en Espagne. D’un autre côté, tous les boulots qu’elle a fait jusqu’à présent ne l’ont pas passionnée… Et kiné ne lui est jamais sorti de la tête.

Kiné c’est le sport, les gens et le médical, les trois points qu’elle aime le plus.

Alors un jour, elle dit à ses parents “j’ai bien réfléchi, je reprends mes études de kiné”.

Le jour des portes ouvertes de l’école de kiné, elle fait l’aller-retour sur Gérone dans la journée. Le lendemain elle pose sa démission à la salle de sport.

Son tout premier cours est un cours de “bio chimie”. En espagnol donc. En plus de ne pas comprendre la langue, elle ne comprend pas non plus la matière. Tous les gens qui l’entourent on soit fait médecine, soit une prépa kiné. Laura a fait un prêt de plusieurs milliers d’euro auprès d’une banque pour financer ses études… Quand elle sort de cette première heure de classe, Laura se répète en boucle, mentalement “surtout ne panique pas. Ça va aller. Comme toujours”.

Elle se met à étudier comme une malade.

Laura se rend compte qu’elle sait se concentrer et qu’elle a une capacité de travail qu’elle ne soupçonnait pas. Au bout de 4 ans, elle obtient son diplôme. 

Elle fait d’abord des remplacement puis commence un poste dans un cabinet. Au bout de quelques mois, l’envie d’aventures la reprend. Elle décide de partir dans les îles et son choix s’arrête sur la Martinique sans trop savoir à quoi ce bout de terre au milieu de l’Atlantique ressemble. Elle trouve un poste de kiné puis fait sa valise et s’en va.

Un jour sa soeur qui est elle aussi kiné, l’appelle pour lui proposer de monter un cabinet ensemble, à Lyon. Elle n’est en Martinique que depuis trois mois, n’a jamais eu l’intention de monter son cabinet mais elle  accepte.

La signature a lieu le 7 décembre 2019. Après plus d’un mois de travaux, le cabinet ouvre ses portes le 13 janvier. Pour les refermer le mardi 17 mars 2020.

 

***

 

Le confinement n’a pas été une surprise. Laura et sa soeur l’ont vu venir avec la fermeture des bars et des restaurants dès le samedi soir. Le jour de l’annonce, elles sont au cabinet avec les deux collaborateurs qu’elles ont recruté entre temps, et tous les quatre sont complètement dépités.

Laura pleure du matin au soir entre deux patients venus faire leur dernière séance. Elle au prêt immobilier, aux différentes charges, à sa nouvelle patientèle, à l’énergie qu’elle a déployée depuis des mois pour en arriver là. Elle se demande comment elle va se relever.

Les directives de la part de l’ordre des kinés ne sont pas très claires. Il est question de fermeture des cabinets si les praticiens ne sont pas en mesure d’assurer les règles de sécurité. Un peu comme si c’était leur ressort, eux qui n’ont ni blouse, ni masque, ni gant. Laura et sa soeur décident de jouer le jeu. Elles n’ont pas envie que leur cabinet devienne un lieu où le virus se développe.

Elle appelle les patients un à un pour les tenir informer. Elle a l’impression de les abandonner dans leur parcours vers le rétablissement. 

Une fois le cabinet fermé, Laura panique sur l’aspect financier car en libéral, elle n’a droit à aucune aide. Il y a bien le report de crédit et l’arrêt des prélèvement par l’URSAFF mais elle se sent perdue dans les démarches. Perdue et en déni. Comment cela peut-il arriver ?

La première semaine passe.

La seconde, elle se ressaisit et reprend les choses en main. Avec sa soeur, elle adhère à une application qui permet de créer des protocoles de rééducation et contacte tous les patients qui ont besoin d’être suivis. Il faut continuer de les accompagner.

Laura reçoit de nombreux appels de patients car tout le monde se met à faire du sport, du bricolage ou du jardinage et les blessures se multiplient. En réponse, elle ne peut rien faire d’autre qu’envoyer des protocoles personnalisés à chacun d’eux. 

Avant même l’annonce du confinement, Laura s’était inscrite sur la réserve sanitaire afin de venir prêter main forte au cas ou les hôpitaux venaient à être débordés. Pour elle, il est hors de question de rester les bras croisés, même si c’est pour faire de l’administratif ou de l’accueil. 

Il y quelques jours, Laura est contactée pour travailler dans un hôpital privée pour de la kiné en post opératoire, soins palliatifs et soins continus. Là-bas, les patients positifs sont dans un service et les patients négatifs dans un autre. 

Laura a appris les procédures sanitaires sur le terrain. Un des deux kiné avec qui elle travaille lui a montré la marche à suivre et puis les infirmières lui transmettent leurs savoir en permanence. Quand elle rentre dans le service covid, elle enfile une surblouse de chirurgie puis un tablier, des sur chaussures, un masque quand il y en a, une charlotte, des lunettes de protections et enfin, des gants. Comme elle navigue entre les deux services, elle garde les patients covid pour la fin. Ce sont les infirmières qui lui ont dit de procéder de la sorte. Pour ne pas passer sa journée à se changer. 

Pour l’instant, Laura apporte des soins à tous les patients indépendamment du covid. Peut-être sera-t-elle amené à pratiquer de la kiné respiratoire sur certains d’entre eux.

À côté de cela, elle fait des téléconsultations pour les patients qui ont besoin d’être suivi après leur opération mais qu’elle ne peut pas aller voir. Et puis elle continue d’appeler certains patients, principalement les personnes âgées qui vivent seules. Histoire de prendre des nouvelles. Et de garder le lien.

 

 

 

Propos recueillis par Sophie Astrabie.