Laure a d’abord fait des études commerciales. Après deux années de prépa, elle intègre l’école de commerce de Grenoble puis commence à travailler dans un cabinet d’audit. Elle n’y reste que 6 mois. 

Avec son petit ami de l’époque, elle décide de créer une marque de prêt-à-porter made in France. Laure dit que ce projet d’entreprenariat s’est fait de manière assez cliché : ils aimaient la mode, ils voulaient entreprendre, ils se sont lancés. C’est comme ça que la marque de vestes féminines “Cavalier bleu” est née. Mais cette aventure ne marche pas vraiment. Entreprendre en couple, il paraît que c’est un défi ! 

Laure décide alors de faire du free lance dans la mode. Sauf que l’envie d’entreprendre la rattrape rapidement. Elle crée donc sa propre boîte mais toute seule cette fois : The Culture Delivery, une box pour les parisiens qui n’ont pas le temps d’organiser des sorties culturelles. Sa mission première consiste à présenter les différents évènements à des non spécialistes. Laure se rend compte qu’elle prend beaucoup de plaisir à écrire les textes qui accompagnent la box…

C’est à ce moment que Laure rencontre celui qui deviendra son compagnon. Elle a trente ans et lui, déjà deux enfants. Du jour au lendemain, elle devient belle-mère sans même être passée par l’étape mère. Cette situation lui fait se poser beaucoup de questions pour lesquelles elle ne sait pas où trouver des réponses. L’idée lui vient alors d’écrire un livre abordant les problématiques des familles recomposées, du point de vue de la belle mère. Il s’appelle “Mon prince charmant a déjà deux enfants”.

Puis Laure a sa première fille et sa vie change. Ses premiers pas dans la psychologie à travers l’écriture de son livre lui ont donné envie d’aller plus loin. Elle décide d’arrêter sa boite dans la culture et se met en tête de trouver une école de psychothérapie.

Laure reprend ses études pour quatre ans mais cette idée ne lui fait pas peur. Elle est sûre d’elle.

 

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Quand la crise sanitaire a commencé, une amie lui dit : “Il y a un grand élan de solidarité qui est en train d’apparaître. Tout le monde met ses compétences au profit des autres. C’est beau et c’est génial.

La première réaction de Laure, c’est de se dire que c’est dommage qu’elle ne sache rien faire.

La deuxième réaction de Laure, c’est de réaliser qu’elle est psy et qu’il n’y a sûrement jamais eu autant de personnes angoissées dans le monde qu’en ce moment.

Son côté entrepreneur reprend le dessus, il faut qu’elle fasse quelque chose. Mais elle n’a pas envie de faire ça toute seule : comme tout le monde pendant cette période particulière, Laure recherche du lien. 

Elle propose à deux confrères, Thibaut et Virginie, de se joindre à elle. Ils acceptent aussitôt. 

Des psy à l’écoute” voit le jour.

L’idée est de proposer de vraies séances de 45 minutes par téléphone.

La hotline est disponible sept jours sur sept et chaque patient bénéficie jusqu’à 3 séances gratuites. Il ne s’agit pas d’une thérapie bien sûr, mais d’une écoute attentive pour se débarrasser des angoisses ou du mal-être que suscite la situation.

Les trois profils de Laure, Thibaut et Virginie sont disponibles sur la page Facebook afin que chaque patient puisse s’orienter vers le psychothérapeute avec qui il aura le plus d’affinités. Le premier contact peut se faire par message ou en appelant directement. 

 

 

Avec ces nouveaux patients qu’elle accueille, justement, Laure s’est rendue compte qu’elle avait de nombreux échanges par écrits. En temps normal, les patients appellent car le praticien a été recommandé. Mais là, c’est différent. Elle reçoit beaucoup de messages.

Le contexte incite un grand nombre de personnes à se lancer, à envisager une thérapie, ce qui passe souvent par un premier pas que l’écrit facilite. Alors Laure répond aux mails. Elle ne fait pas de la thérapie par mail, mais une sorte d’accompagnement pédagogique sur ce qu’est une thérapie. À quoi ça sert, en quoi ça consiste, combien ça coûte, etc.

Elle n’a pas forcément un appel après chacun de ses messages. Parfois, une simple réponse à un mail suffit à apaiser la personne : il y a quelqu’un, là, pour elle. Et même si certains ne sont pas encore prêts, l’idée de voir un psy fait son chemin. 

Comme toute la France est logée à la même enseigne, que l’on vit tous la même chose, dans ce même environnement particulier, Laure constate un phénomène de “Monsieur et Madame Tout-le-monde” : des gens qui n’auraient habituellement pas forcément besoin de parler à un psy se retrouvent à le faire.

Car le confinement pousse à se poser des questions sur soi. Ce n’est pas tant des problématiques liées à l’épidémie mais de réelles questions sur les conséquences de celle-ci. Laure remarque une réelle quête de sens chez les personnes qui la contactent. Les gens se recentrent sur eux-mêmes.

Laure reçoit aussi beaucoup d’appels d’étudiants, de stagiaires ou de jeunes diplômés. Des jeunes adultes qui sont retournés se confiner chez leurs parents et qui sont confrontés à une cohabitation pas toujours facile à vivre. Indirectement, cela impacte sur l’estime de soi et donc, un certain mal être.

Elle reçoit aussi des appels de femmes qui ont accouché pendant cette période. Tout ce qui a été imaginé pendant les neuf mois de grossesse sur la naissance de leur enfant, s’est écroulé. Le père n’a pas pu être là, le stress a été doublement intense… c’est assez traumatique. Ces femmes qui appellent ont souvent un post-partum compliqué. Elles ont des angoisses vis-à-vis de leur bébé, elles pleurent plus que ce qui leur semble “normal”, elles ne se sentent pas bien… 

Laure reçoit aussi des appels de personnes qui rencontrent des troubles du comportement alimentaire. Il faut savoir que l’anorexie est avant tout une addiction au contrôle. Cette maladie n’est pas tant liée à la nourriture qu’à l’idée de contrôler cette nourriture et par extension, de contrôler son corps. Les personnes anorexiques qui se retrouvent chez elles, sans contact avec l’extérieur pour leur changer les idées, face à une crise sanitaire mondiale où rien n’est maîtrisé, peuvent voir leur maladie s’intensifier. Ce contexte anxiogène peut aussi être un déclencheur ; personne n’a jamais été confronté à ce genre d’événement, à cette absence de contrôle. 

D’autre part, beaucoup de personnes qui l’appellent ont une angoisse de l’avenir. Que va-t-il se passer ? C’est d’autant plus le cas pour les célibataires qui n’imaginent pas leur vie sociale reprendre du jour au lendemain. 

Ce qui fait peur c’est l’inconnu, la perte de repère. Certains ont une solidité suffisante pour se dire que ça va aller, une solution va être trouvée, la vie va reprendre. Ces personnes là n’appellent pas Laure. Pour d’autres, pour plein de raisons, c’est plus difficile d’affronter ce qu’il se passe.

Évidemment, Laure est psychothérapeute, pas médium. Elle n’a pas toutes les réponses. Elle se contente d’accompagner ces personnes, les aide à déceler ce qui se cache derrière ces angoisses. Car de manière générale, les protections psychiques censées protéger les gens d’un traumatisme, créent aussi une barrière qui rend la compréhension de nos réactions difficiles. Quand les gens appellent, sans le vouloir,  ils mettent du temps à arriver au coeur du sujet. 

Pour elle aussi la situation est inédite. Elle retrouve au cours d’une séance, la même interrogation qu’elle a eu le matin en se regardant dans le miroir. C’est pour cette raison qu’elle rappelle à quel point il est important que chaque psy ait son propre psy.

Finalement, cette grande chaîne d’écoute, ce lien, nous en avons tous besoin.

 

 

 

Propos recueillis par Sophie Astrabie.