Rachel a fait des études jusqu’au baccalauréat. Lorsqu’elle rate l’examen, elle décide de postuler à une offre d’hôtesse de caisse pour la saison estivale. A la fin de son contrat, l’enseigne lui propose de rester. Elle accepte. C’était il y a douze ans.

Depuis, Rachel a évolué en interne, toujours chez le même distributeur mais en travaillant dans différents magasins.

Aujourd’hui, elle est cheffe de caisse.

Elle connaît son métier par coeur mais il n’en reste pas moins une source de stress. Selon elle, le sens du management est quelque chose que l’on a ou que l’on n’a pas et si elle manage aujourd’hui 5-6 personnes, elle trouverait difficile de devoir gérer plus d’employés. Elle le voit bien quand son responsable part en vacances et qu’elle doit prendre la relève sur le fonctionnement de son magasin. C’est beaucoup de pression.

Là où elle travaille, cheffe de caisse, c’est un poste polyvalent. Il faut passer derrière la caisse bien sûr, mais aussi, s’occuper du magasin de manière plus générale : ranger les commandes, mettre les produits en rayons, ou encore, nettoyer les surfaces.

Rachel a conscience qu’ils ne sont que des numéros. Mais elle ne se plaint pas de ces conditions de travail. L’ambiance est bonne et avec les heures supplémentaires, son salaire lui semble convenable.

 

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Au tout début de la crise, Rachel a voulu prendre son droit de retrait. Il faut dire que la situation n’était pas simple à comprendre. Pas simple, mais surtout, pas très juste. Alors que le gouvernement annonce la fermeture de tous les lieux de vie et l’obligation de rester chez soi, Rachel, elle, doit aller travailler. Les recommandations qui tournent en boucle à la télévision valent pour les autres, mais pas pour elle. La situation est alors angoissante. Elle se souvient des premiers jours où ses collègues comme elle, paniquaient à l’idée de “l’attraper”.

Mais l’enseigne pour laquelle elle travaille a été très réactive. Rapidement toutes les dispositions ont été prises pour assurer la sécurité du personnel. Dès le lundi matin, l’ensemble de l’équipe a reçu un mail pour annoncer la mise en place des protections en plexiglas devant les caisses. L’après-midi, une entreprise était là pour les poser. Au sol, des autocollants sont déposés pour maintenir le mètre de sécurité entre les clients et la personne en caisse. Au bout de 10 jours, alors que la pénurie semble perdurer en France, Rachel et ses collègues sont équipés en masques. Et même, de visières. 

Rachel avoue ne s’être pas sentie en danger une seconde. D’ailleurs, dans son magasin, il n’y a pas eu d’arrêt de travail. Toutefois, les employés restent prudent. Entre eux, ils respectent le mètre de sécurité et dans les bureaux, tout le monde garde le masque. 

Tous les jours, les quinze employés du magasin où elle travaille reçoivent par mail une sorte de gazette qui résume la situation. Cela va du nombre de décès journalier aux nouvelles mesures mises en place par le gouvernement en passant par les processus internes pour se protéger. Ce qu’il faut faire en rentrant chez soi, comment se déshabiller, comment laver son linge et même, comment se laver les mains.

La propreté du magasin a été renforcée. En plus des employés “d’origine” du magasin, des intérimaires ont été embauchés. Il ne suffit pas simplement de laver plus de choses, il faut aussi laver plus souvent. Les caddies, les poignées de porte, les TPE… même les boutons des rideaux métalliques. Rachel, comme tous les autres salariés a une liste pour être certaine de ne rien oublier.

Rachel dit avoir pris le rythme. Elle change ses gants toutes les heures et dès qu’elle les retire, elle se lave les mains. Chaque employé a un flacon de gel hydro alcoolique fourni par l’enseigne dans une poche de sa veste. Des thermomètres ont également été livré et chaque jour, avant la prise de poste, tout le monde doit prendre sa température.  

Avec le masque toute la journée sur le visage, Rachel dit avoir besoin régulièrement de sortir prendre l’air ou de s’isoler en réserve. La transpiration, le fait de respirer son propre air… c’est difficile.  À la fin de journée Rachel n’en peut plus.

Un agent de sécurité a été embauché. À l’entrée du magasin, il filtre les entrées. Au tout début, le magasin pouvait accueillir cent clients en même temps. Ce chiffre est rapidement descendu à cinquante, puis à trente. Depuis quelques temps, le caddie est obligatoire. Cela facilite le travail du vigile qui en met trente à disposition. Quand il en n’a plus de caddie, c’est que le magasin a atteint sa capacité maximale. Dès qu’un client sort, un autre peut entrer. Le vigile distribue des lingettes pour que chacun nettoie son caddie. Mais il se fait souvent engueuler car certains qui considèrent que ce n’est pas à eux de faire ça. 

Car le plus dur depuis le début, Rachel ne cesse de le répéter, ce sont les clients. Ils sont de plus en plus agressifs, ils ne comprennent pas pourquoi il faut faire la queue en dehors du magasin, ils se moquent des caissières et des caissiers, de leur visière, de leur insistance sur le mètre de sécurité. Certains continuent de venir jusqu’à trois fois par jour, sans gant, sans masque pour chercher une baguette, une pizza ou des canettes. Cette confrontation permanente est tellement usante et angoissante, qu’un système de rotation a été mis en place pour les caissières et caissiers. Être à la caisse, c’est presque la punition.

A l’annonce du confinement, les client ont commencé à venir en masse au magasin. Rachel raconte qu’en douze ans d’expérience, elle n’a jamais connu un tel chiffre d’affaires. Les clients se servaient par cartons. Des pâtes, du riz, du savon, de la javel. Le magasin était en rupture et n’arrivait même pas à se réapprovisionner. Les stocks se vidaient à la seconde. Rachel voyait des caddies à 500€ ce qui n’arrivait absolument jamais dans ce type de magasin. Le panier moyen a explosé. Alors qu’il était autour de 15€, il est désormais de 30.

Et puis ça s’est calmé net.

Depuis quelques jours, le trafic reprend. Le fait que ce soit le début de mois n’y est pas pour rien. Cela inquiète un peu Rachel car les clients ne respectent pas les distances de sécurité. En caisse, mais surtout dans les rayons. Elle se désole : “Les gens ne comprennent pas que si l’on vient travailler c’est parce qu’on n’a pas le choix

Dans le magasin de Rachel, l’ambiance a toujours été bonne entre les salariés. Avant la crise sanitaire, ils se voyaient en dehors des heures de travail. Elle appréhendait que cette situation exceptionnelle entraîne un repli sur soi. Juste faire ses heures de travail. Mais cela a été tout l’inverse. Les gens proposent de venir aider. Et même, ceux qui ont des enfants et qui ont donc le droit à des jours pour les garder, ont préféré ne pas en bénéficier. Bien sûr, il y a aussi l’inquiétude que le délai de prise en charge par la sécurité sociale soit trop long malgré le fait que l’entreprise prévoit de décaler le prélèvement d’un mois. Personne ne veut se retrouver sans son salaire.

C’est bien pour ça que l’on travaille, non ?

 

 

Ndlr : Rachel a souhaité rester anonyme. Son prénom et son âge ont été modifié. L’enseigne dans laquelle elle travaille n’est pas citée.

 

Propos recueillis par Sophie Astrabie.