À la base, Mona ne voulait pas être professeure. À la base non, pas du tout. Ce qu’elle voulait, elle, c’était faire des études de droit et se spécialiser dans les droits humains pour travailler dans des associations et combattre l’exploitation des femmes et des hommes. Ce que l’on appelle aussi, l’esclavage moderne.
Cette idée de spécialisation lui est venue au cours de ses études quand elle s’est aperçue qu’il n’y avait rien de plus utile que l’utilité. Mona voulait se lever chaque matin, avec l’impression d’agir à son niveau, en faveur des autres. Changer ce qui pouvait l’être.
Elle s’est alors demandée ce qui la révoltait le plus et ce qui n’était pas suffisamment pris en considération par la société. Elle a aussitôt pensé au droit le plus fondamental qui soit : être humain et préserver cette humanité, coûte que coûte.
À l’école, on lui a appris que l’esclavage avait été aboli il y a bien longtemps. Pourtant, elle s’aperçoit que ce n’est absolument pas le cas. Pour elle, l’exploitation des humains est la pire des injustices : elle devrait être une priorité.
Mais quand Mona cherche du travail, elle n’en trouve pas. Ce qui est injuste mais logique puisque ce n’est pas une priorité.
Alors en attendant, elle devient assistante d’éducation dans un collège. Assistante d’éducation ça veut dire surveillante, et à force de surveiller, Mona se rend compte à quel point tout passe toujours par l’éducation.
Dans ce collège, la CPE est une femme si inspirante que Mona décide de passer le concours de Conseillère Principale d’Éducation. Dès son obtention, elle fait son stage dans un lycée de Bourgogne, sa région d’origine puis est mutée dans un lycée professionnel de l’académie de Créteil. Elle découvre alors ce nouvel environnement qu’elle trouve génial : tant la structure que les élèves.
C’est là qu’elle apprend qu’il est possible d’être professeur.e de français ET d’histoire géographie, les deux matières qu’elle apprécie le plus. C’est un grand chelem professionnel et un déclic aussi : Mona veut faire ça. Aller en cours avec les élèves, les accompagner et donner leur chance à ceux qui n’en ont pas forcément beaucoup eue jusque là. Alors elle passe le concours de professeur.e en parallèle, et l’obtient.
Mona devient professeure à Bobigny.
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Jusqu’à l’allocution du président Emmanuel Macron, personne n’avait vraiment d’information. Et comme le ministre de l’éducation Jean-Michel Blanquer avait dit qu’il n’était pas prévu que les écoles ferment, Mona ne pensait pas que cela se produirait aussi rapidement. Entre professeur.e.s, bien sûr le sujet avait déjà été abordé. Ils se disaient bien que cela risquait d’arriver… mais après tout, comme tout le monde, ils n’en savaient rien.
Le lendemain de l’allocution, Mona et ses collègues se posent beaucoup de questions. Mais comme les informations sont contradictoires, elle ne change rien à ses habitudes : elle va au lycée. Il faut attendre. Ils seront tenus au courant.
En fin de journée, Mona reçoit un e-mail lui disant que les élèves ne reviendront pas en cours après le week-end. Concernant les professeur.e.s, l’information ne tombera que le dimanche après-midi.
Une réunion virtuelle est mise en place pour évoquer la suite. Mona trouve qu’il y a un décalage entre les annonces du gouvernement et ce qui se passe sur le terrain. Car en réalité, les professeur.e.s ne sont pas du tout prêts. Ils ne peuvent pas être prêts. Adapter des cours “physiques” en classes virtuelles ne peut pas se faire en un claquement de doigts.
Alors depuis 10 jours, avec ses 5 classes sous sa responsabilité, Mona n’arrête pas. Gérer les cours, les adapter, assister aux réunions, garder le contact avec les élèves pour éviter qu’ils ne décrochent, les accompagner dans leurs orientations, rassurer les parents inquiets, comprendre les nouveaux outils…
Ce matin par exemple, Mona s’est connectée sur Pronote (le logiciel de la gestion de la vie scolaire) et Google Drive. Elle a donné rendez-vous à ses élèves sur une discussion Zoom. Elle a utilisé les cours qu’elle avait déjà préparés mais en les modifiant pour les rendre plus interactif. Pour cela, elle se sert parfois de Google form. Malheureusement, malgré tous ses efforts, très peu d’élèves sont connectés, car certains sont déjà en train de lâcher…
Elle a mangé en quelques minutes puis elle a continué à travailler sur un cours qu’elle avait à faire pour le lendemain. À 14 heures, elle anime un autre cours pour aider les élèves dans leur voeux sur parcoursup. Dès qu’elle a un moment de libre, elle en profite pour répondre aux messages des élèves qui lui écrivent mais aussi pour leur communiquer les liens des prochains cours. Enfin, elle doit assister à une réunion avec les autres professeur.e.s de lettres et histoire géographie afin de transmettre un bilan d’expérience à la direction. Et puis déjà, c’est la préparation des cours pour le lendemain.
Même si ce n’est pas simple tous les jours, Mona voit le côté positif : faire du yoga à la place de son temps de transport et sortir de sa zone de confort pour apprendre à utiliser de nouveaux outils. Mais elle a conscience que pour ses collègues plus âgés, c’est une autre histoire.
Ce qu’elle trouve vraiment difficile, c’est cette pression de faire comme si tout cela était normal. Comme s’ils avaient toujours fonctionné de cette manière. Elle se sent sur sollicitée et trouve difficile de déconnecter.
D’autant qu’une particularité des lycées professionnels, c’est qu’il y a un grand nombre d’élèves en difficulté sociale et financière. Mona s’en rend compte quotidiennement mais en ce moment, c’est encore plus frappant. Beaucoup ne maîtrisent pas la technologie car ils n’ont rien d’autre que leur téléphone portable… C’est injuste.
Mais peut-être que malgré tout, Mona est à sa place. Dans ce combat contre l’injustice qui se réinvente à chaque crise.
Propos recueillis par Sophie Astrabie.