Lorsqu’il m’arrive d’interviewer des personnes sur leur parcours, je pose souvent cette question : “quel est votre échec ?”

Une question pour laquelle j’attends toujours la réponse avec une pointe d’impatience mêlée à une once de gêne. Certes, je suis mal à l’aise pour à peu près tout. Par exemple, si un ravisseur souhaitait me torturer, il lui suffirait de m’attacher à une chaise et de me passer en boucle les archives de toutes les caméras cachées du monde (piéger des gens et les regarder subir ce moment, qui aime ça ? ). Il n’empêche que l’échec a quelque chose de secret. D’intime même. Connaître les échecs d’une personne, en France, c’est un peu comme l’avoir aperçue nue par erreur.

Et c’est sans doute pour cette raison, que lors de mes interviews, je n’ai quasiment jamais eu de réponses claires à cette question. J’ai eu des réponses bien sûr, mais plutôt des affirmations pudiques. Par exemple, que l’échec n’existe pas vraiment. Que l’échec est un apprentissage. Ou bien qu’il vaut mieux ne pas s’attarder sur ces échecs, que c’est ainsi qu’on les oublie. Et que c’est mieux comme ça.

A croire que les gens n’aiment pas être vus nus. Bizarre.

Évidemment, à chaque fois, je suis déçue. Je suis déçue et à la fois, pas vraiment surprise. Car dans notre société, l’échec est tabou.

Vous êtes en train de vous dire que bon, c’est bien beau tout ça, mais c’est un peu comme si j’avais débarqué en Amérique en 1493. L’échec, tabou… sympa mais déjà vu.

Alors j’ai continué de réfléchir et je me suis souvenue de cette citation de Gandhi « Soit le changement que tu voudrais voir dans ce monde »

Franchement ces phrases, on est d’accord, on n’en peut plus. Ces phrases peut-être, mais leurs significations… pourquoi pas les regarder de plus près.

 

J’ai donc fait la liste de mes échecs.

 

  1. Premier jour de classe de 5ème avec Mme Guillot, notre professeur principal dont il ne manque qu’un suffixe en -ine pour terminer de nous achever. D’une voix froide, elle annonce : « prenez une feuille, dictée ». On la regarde, hésitant. Soit elle est très drôle. Soit pas du tout. Je me ronge un ongle sous lequel se trouve encore un peu de sable de mes vacances. Elle répète “dictée”. Prof de français avec option torture donc. Je sors une feuille que je récupèrerai une semaine plus tard avec, noté dessus à l’encre rouge, 1/20. 
  2. J’ai 27 ans. J’ai décroché un poste en CDD en tant que chef de produit marketing dans une PME qui vend des produits de grande consommation. Mon CDD est prolongé une première fois, je suis contente ; on doit l’être de moi. Quelques mois passent, on me propose un CDI que je signe avec satisfaction. Ce poste, je le voulais. Les semaines défilent et bizarrement, rien ne va plus. Ma responsable me court circuite sur des projets, on me fait de nombreux reproches sans fondement, je découvre qu’un recrutement est en cours pour me remplacer. Bref, ma confiance s’écroule et quelques semaines plus tard, je suis virée. J’ai 27 ans, c’est mon deuxième travail et je viens de me faire virer.
  3. J’ai écrit un livre et j’ai la chance d’avoir signé avec une maison d’édition : mon livre va paraître, il va exister. C’est un rêve qui se réalise et je suis très heureuse. Mais déjà, je dois penser à l’écriture de mon deuxième roman. Je me lance avec confiance, j’écris, j’écris, j’écris. Mais quand je présente mon manuscrit à mon éditrice, elle n’est pas enthousiaste. Le livre n’est pas assez bon. Je perds un peu confiance, mais je ne me laisse pas abattre : je commence l’écriture d’un troisième livre. Je ne sais pas trop comment m’y prendre, après tout, j’ai écrit deux livres et apparemment, d’un point de vu statistique, je sais aussi bien réussir que rater. J’écris, je réfléchis beaucoup, je doute, mais je continue d’écrire. Quand j’ai fini, je le remets à mon éditrice et cette fois encore, ça ne va pas. 

 

Sur le moment, chacun de ces échecs a été le pire jour de ma vie. En 5ème, la bonne élève que j’étais a cru qu’elle allait redoubler. À 27 ans, je me suis demandée si je n’étais pas la pire alumni de l’histoire de mon école. À 30 ans, j’ai douté n’avoir jamais fait exprès d’écrire un livre. 

Aujourd’hui, je connais l’impact de ces échecs dans ma vie. J’ai redoublé d’efforts en français en classe de 5ème, j’ai abandonné un domaine d’activité qui ne me convenait pas, je me suis rendue compte que parfois, pour réussir, il fallait aller au bout de soi-même : le quatrième manuscrit était le bon.

Peut-être même que ces trois échecs sont trois panneaux sur mon chemin. Ne pas s’y attarder, les oublier, ne pas en parler, ne pas les considérer, me semblent être une terrible erreur. Notez vos échecs, ils sont peut-être ce qui vous définissent le plus. Partagez-les. Ils nous relient entre nous.

 

 

 

 

Texte écrit par Sophie Astrabie.