Je m’étais promis d’écrire un billet inspirant à l’approche de Noël. J’aurais parlé de l’attente impatiente, de la joie des retrouvailles, des souvenirs d’enfance.

C’était sans compter la vie et les aléas en cascade qui font irruption dans l’agenda.

Un divin enfant, joues écarlates, corps en sueur et fièvre à 39,5 toute la nuit, avant de passer le relais à son frère. Les poux resplendissants de santé découverts dans la chevelure de leur grande sœur pour occuper la soirée suivante. Une étagère de bibliothèque qui capitule sous le poids des livres, l’inévitable dispute à base de « je te l’avais bien dit » et « tu ne m’écoutes jamais » entre deux adultes poussés à bout par cette succession d’évènements sur quarante-huit heures et le temps d’écriture s’est déjà évaporé.

Un peu comme les fêtes de Noël, finalement. Elles surgissent chaque année avec la même promesse : un grand sapin, des cadeaux par milliers, une famille souriante en pull de laine à motifs, coupe de champagne à la main. La photo est non contractuelle, mais cela doit être écrit en très petites lignes pour que l’on soit encore si nombreuses à y croire.

Pourtant, s’il y a un moment de l’année où s’entrechoquent sans merci les rêves et la réalité, c’est bien celui-ci.

Enfant, on ouvrait une case du calendrier chaque jour de décembre, on écrivait à ce cher Père Noël combien on avait été sage et on attendait de voir de la magie de Noël se produire « pour de vrai ». On nous l’avait dit, il suffit de fermer les yeux.

À l’âge adulte, on vit Noël côté coulisses, trop occupées à actionner les manivelles et les décors en carton pâte pour profiter de la beauté du spectacle. Réservations de train dès le mois d’octobre, angoisse de la hotte vide conduisant à vénérer le dieu Amazon, casse-tête de la planification des repas (« ton nouveau compagnon, il est végétarien, ou végane ? »).

Un Noël féérique dont l’organisation repose – ô surprise – sur les femmes dans la plupart des cas. Le jour J on sourit bien sûr, sanglée dans la robe de fête que l’on revêtira trois fois, pour les trois repas de réveillon en trois jours, le compromis trouvé pour préserver la paix des familles.

Le rythme est épuisant mais ce n’est que pour quelques heures, alors on s’engage à « bien se tenir », à faire honneur aux plats trop copieux, à ne pas parler de politique ni de religion, ni de rien du tout d’ailleurs, car par les temps qui courent même la météo est un sujet polémique. On en ressort sous perfusion de citrate de bétaïne, en clamant « plus jamais ça ». Et on recommence l’année suivante.

Je ne suis pas natalophobe, même si je confesse avoir ri cette semaine à la lecture de l’avis de recherche publié en Haute-Savoie et assorti d’une récompense offerte à qui confondra le « Grinch » local, qui sectionne avec entrain les câbles d’alimentation des guirlandes lumineuses. Mais comment éprouver de la joie quand il faut fournir tant d’efforts, quand on s’interdit d’être soi ?

Je savoure le privilège de cette réunion, une fois par an, autour d’un repas partagé ; cette fête a une valeur que l’on mesure à l’aune des éclats de rire mais aussi de la tristesse qui nous envahit quand celles et ceux que l’on a tant aimés ne sont plus là pour la célébrer.

J’aimerais envoyer valser les images sur papier glacé qui nous emprisonnent, mettre du cœur dans nos conversations, insuffler de la liberté dans ce cadre devenu trop étroit, pour retrouver la magie des premières fois.