En juillet, il m’est arrivé de regarder le tour de France. De survoler la France en hélicoptère pour admirer les couleurs d’un pays qui ne ressemble à aucun autre. De voir mes compatriotes se poster au sommet d’un château en ruine déguisés en chevaliers ou dessiner dans leur jardin des oeuvres d’art pour capter 5 secondes d’antenne à la télévision. D’observer ces caravanes accrochées au sommet d’un col et d’imaginer ces moments de fête vécus en famille ou entre amis, avec pour excuse de regarder passer des hommes sur un vélo.

Le tour de France, cette année, a eu mon affection.

J’ai même regardé le compte Instagram de Julian Alaphilippe passer de 50k à 457K. J’ai regardé les pleurs de Thibaut Pinot dans le reportage que France 2 lui a consacré. J’ai lu l’article du Monde sur Romain Bardet, ce fameux  » je ne serais pas arrivé là si… » que je ne rate pour rien au monde.

J’ai aussi appris que le Tour en 2019, c’était 176 coureurs, 21 étapes, 3480 km de courses, 744 communes traversées, un point culminant à 2770 m, des étapes « courtes » de 117 km et des étapes longues de 230 km. Et puis 10 à 12 millions de spectateurs. 

Évidemment, j’ai aussi lu des articles sur le cyclisme féminin. Car le tour de France féminin « existe », un peu. Ou presque. On ne sait pas très bien quel terme utiliser pour ce « La course by le Tour » un tour de France qui se limite à… une course contre la montre.

En somme, le cyclisme est sans doute l’un des sports les moins égalitaires sur cette planète, que ce soit au niveau des salaires, de la médiatisation ou même des compétitions… Ce qui est paradoxal quand on sait que le vélo a été un instrument d’émancipation pour les femmes. Longtemps mal vu par la société ou même « interdit »  par des médecins qui le surnomment « la machine à stérilité », le vélo a pourtant permis aux femme de se déplacer seules, sans mari, à une époque où l’automobile restait encore inaccessible. Et puis n’oublions pas que même plus tard, si certaines femmes obtiendront leur permis de conduire, elles n’accèderont pas pour autant au volant.

Bref j’ai regardé le tour de France. Et puis j’ai regardé le podium.

Ces trois petites marches sur lesquelles gravissent ces hommes en jaune, vert ou à pois, imberbes et taillés dans la pierre, héros d’un jour pour toujours, acclamés par une foule à 60% masculine et 40% féminine. J’ai regardé deux jolies femmes leur remettre un bouquet et une peluche, le sourire aux lèvres, avant de déposer une bise sur leurs joues salés par l’effort de l’exploit et de s’écarter légèrement pour continuer d’applaudir. Et ça m’a choquée.  

Franchement, comment peut-il en être autrement ?

Et puis il y a eu cette pétition pour mettre fin à ces « podium girls ».

Quand j’en ai parlé autour de moi, j’ai assisté à plusieurs réactions dignes d’une pièce d’Edmond Rostand.

Fataliste : « C’est la tradition, ça a toujours été comme ça ! »

Économique : « C’est un boulot comme un autre. »

Hypocrite : « On leur a demandé à elles, ce qu’elles en pensaient ? »

Hors-sujet : « Mais ces femmes n’y sont pour rien. »

Paternaliste : « C’est une façon pour elles, de gagner un peu d’argent. »

Presque-féministe : « Elles sont libres de faire ce métier ou pas. »

Ces phrases d’une certaine manière sont toutes vraies. Mais dans ma tête, je ne sais pas pourquoi, spontanément j’ai fait le rapprochement avec la gestion actuelle de l’écologie par les gouvernements. Ce que je veux dire c’est que pour éviter des contraintes immédiates, on sacrifie une grande cause.

Par exemple, pour éviter un ralentissement de la croissance d’une économie on choisit de continuer à détruire notre planète.

Supprimer ces hôtesses de podium, c’est insatisfaire quelques filles qui avaient pendant un mois dans leur vie, une mission lucrative. Mais supprimer ces hôtesses de podium, c’est surtout supprimer des images qui façonnent la société. L’image d’un homme en action qui lève les bras au ciel pour célébrer sa victoire et d’une femme, spectatrice, qui applaudit dans l’ombre. L’image d’une suprématie, d’un sexe fort et celle de femmes passives, soumises et silencieuses. Effacées.

Comment peut-on faire le choix de ne pas sacrifier une vingtaine de femmes au profit des millions d’autres qui les regardent ?

Et puis ces femmes, polyglottes et belles, elles trouveront un autre travail. Tout comme la suppression totale du plastique entrainerait la création de nouvelles solutions. L’économiste Schumpeter appelait ça la destruction créatrice. Et il avait bien raison si vous voulez mon avis.

Il est temps que cela change et que les femmes arrêtent d’être sur la quatrième marche du podium.

 

 

 

Crédit image : Les curiosités de Pauline

Texte : Sophie Astrabie