L’autre jour, une amie m’envoie une vidéo. Elle me dit « Tiens, regarde. Ça me parle ce qu’elle dit.« 

Cette vidéo c’est l’histoire de Gabrielle, la trentaine, mère de deux enfants, directrice de communication chez L’Oréal, qui décide de tout plaquer pour devenir sage-femme. À l’heure où j’écris, cette vidéo qui dure 14 minutes, a atteint 2,8 millions de vues. 2,8 millions de vues, c’est incroyable, non ?

 

Gabrielle – Les déviations

 

Pourquoi cette vidéo a atteint autant de vues alors que plus personne n’a le temps de rien ? Qu’est-ce qui fait que cette interview de 14 minutes a un tel succès alors que l’on vit dans un monde où on n’a même pas le temps d’écrire “cordialement” en entier à la fin de nos mails ?  

C’est ce que j’ai voulu savoir, en commençant par me demander pourquoi mon amie Laure avait partagé cette vidéo. 

Il y a tout juste un mois, Laure est devenue mère. Et sans doute s’est-elle dit qu’elle aurait des comptes à rendre à cet enfant sortie d’elle, qui n’est rien d’autre que sa continuité dans le monde, son enfance matérialisée, qui la quitte pour mener sa propre vie. Rendre des comptes à son enfant, peut-être est-ce avant tout rendre des comptes à sa propre enfance.

Que dirait l’enfant que vous avez été, si vous lui expliquez votre métier aujourd’hui ? Il y a quelque chose de très perturbant à trahir la petite fille ou le petit garçon que l’on a été. 

Dans la vidéo, Gabrielle explique avoir appréhendé le jour où sa fille lui poserait la question “Mais maman, c’est quoi ton travail ?”. Elle s’est alors dit que ce qu’elle recherchait, c’était être fière de ce qu’elle faisait. Pour elle, pour son enfant. Pour elle donc.

 

À 25 ans, j’ai connu la grande désillusion du premier emploi. Vous savez, ce travail auquel on vous prépare pendant des années et qui n’a rien à voir avec ce qu’on vous en a dit ? Celui-ci même.  

Chaque jour sur mon trajet aller je me disais qu’il fallait que je démissionne. Et chaque jour sur mon trajet retour je me demandais “Oui, mais pour faire quoi ?”. J’étais perdue. Mon premier réflexe a alors été d’aller chercher dans mon enfance. Revenir à la source. Quelles étaient mes matières préférées à l’école ? À quels jeux jouais-je enfant ? Qu’est ce que je racontais dans mes journaux intimes ? Quels étaient mes qualités à cet âge-là ? 

C’est comme ça que j’ai décidé d’écrire un livre.

Alors que j’étais cette jeune diplômée prête à tout pour vendre un Shampoing Elseve, une canette de Coca ou un pot de Nutella, aujourd’hui je me demande comme j’ai pu considérer ces métiers comme le symbole même de la réussite. 

Et c’est vrai que la question que pose Gabrielle dans sa vidéo, je me la suis déjà posée des milliers de fois : si une guerre éclatait, en quoi serais-je utile ? 

Pas sûre que la création d’un slogan ait déjà menée à l’armistice. “La guerre tue.”

À réfléchir. 

J’ai regardé cette vidéo de 14 minutes et je me suis dit que quelque chose avait changé.

Avant, on cherchait du sens à notre vie. Du sens, vis à vis de nous. Mais aujourd’hui, il y a quelque chose de nouveau dans cette quête. Quelque chose de plus universel. On cherche du sens vis à vis de la société. Même s’il est toujours question de conscience, il s’agit d’une conscience plus collective. On ne veut plus être celui qui détruit le monde. Dans cette envie de réorientation, il y a une sorte de crise d’adolescence vis à vis des générations qui nous ont précédées. On claque la porte de notre chambre en hurlant que de toute façon, on est sûr que l’on a été adopté et que l’on refuse d’être comme eux.

Il n’y a jamais eu autant de livres, de podcasts, de vidéos sur le changement de voie. Mais bien plus qu’un changement intérieur, c’est le monde qui nous modifie. 

Et si la vidéo de Gabrielle a 2,8 millions de vues, c’est qu’elle touche à la fois dans ce qu’elle a d’intime : vivre sa propre renaissance. Et ce qu’elle a d’universel : faire naître les autres. 

 

 

 

Sophie Astrabie