Je vous l’ai déjà dit mais on n’est pas obligé de toujours tout retenir dans la vie, en juin dernier j’ai fait du bateau pour la première fois. Attention, pas du bateau mouche ni du pédalo. Non, du bateau avec une grand’voile comme dirait Céline, une coque et…et…  oui bon ça va, je vous ai dit qu’on n’était pas obligé de tout retenir. 

C’était une traversée en méditerranée, entre le continent français et la Corse et je me souviens que ce qui m’a le plus frappé dans cette expérience, c’est à quel point on était libres. 

Libres cheveux au vent, mais aussi, libres dans le sens où personne ne nous dit ce que l’on doit faire. Et il y a quelque chose de vertigineux dans ce constat. Une sorte de prise de conscience que rien n’est écrit et que donc, tout est possible. L’arrivée à bon port comme le chavirage.

Ce jour-là je me suis dit que prendre la mer, c’est avant tout prendre ses responsabilités. Personne ne vous empêche de tomber, personne ne vous rattrape si vous le faites. Pas de feu rouge, pas d’annonce sonore pour nous dire de faire attention à l’espace entre le marchepied et le quai, pas de pancarte sol glissant. Pas de prévention de tout, sur tout, tout le temps. On est les maîtres du jeu. 

Ce jour-là surtout, je me suis rendue compte à quel point en mer, nous sommes livrés à nous même, mais surtout, à quel point dans la vie de tous les jours, nous sommes maternés par la société. On nous dit à quel guichet se rendre dans une file d’attente. On nous prévient que c’est le dernier jour pour payer ses impôts. On nous mets des lignes sur le sol.  On nous dit à quelle vitesse rouler. On nous dit que notre lacet est défait. On nous dit, on nous dit, on nous dit. 

En y réfléchissant bien, je me suis aperçue qu’il n’y avait sans doute que deux endroits sur Terre où il était encore possible d’être libre et de vivre à nos risques et périls : la mer et la montagne. 

Pourquoi je vous parle de ça aujourd’hui ? Parce que tout à l’heure, j’ai fait cuire un oeuf. Oui, un oeuf à la coque pour être précise – 3 minutes de cuisson exactement. Sauf que je n’étais pas concentrée et que quand j’ai regardé mon chronomètre, il affichait 4 min 38 et que mon oeuf était toujours dans son Jacuzzi.

Et je me suis dit trois choses : 

  • La première c’est que jusqu’à présent, je faisais cuire mes oeufs à la coque trois minutes, mécaniquement, parce que c’est ce qu’on m’a dit qu’il fallait faire.
  • La deuxième c’est que peut-être, il y avait une cuisson à 4 minutes 38 qui permettait de faire une découverte gustative. Après tout, avons-nous essayé de cuire un oeuf toutes les secondes du monde ? Non, évidemment.
  • La troisième, c’est que peut-être, mes oeufs préférés à moi, ne sont pas des oeufs qui ont cuit 3 minutes. Peut-être que mon idéal à moi, mon sur-mesure, c’est du 4 minutes 38.

Et ça ne semble pas grand chose comme ça, mais je me suis demandée à quel point dans la vie, je faisais les choses parce que c’était comme ça. Parce que les autres avaient réfléchi sur le sujet avant moi. Parce qu’un écran m’annonçait que le ticket 704 devait se rendre au guichet numéro 3.  Et à quel point je les faisais parce que j’avais cherché à comprendre.

Comme tout le monde, je suis allée à l’école une bonne partie de ma vie et je suis devenue “scolaire”. Bonne élève même. J’applique les apprentissages et les connaissances s’ancrent en moi. On m’a tellement enseigné, on m’a tellement fait lire la pensée des autres, que je ne sais plus très bien où se situe la mienne. 

Et c’est terrible. Terrible parce-que cet oeuf à 4 min 38, il était parfait. 

 

Alors à partir de maintenant, je me suis promis de penser à cet oeuf à la coque chaque fois que je fais les choses un peu trop mécaniquement. Parce que s’il y a bien un chose que je veux, c’est devenir la capitaine de mon bateau.

 

 

 

 

Article écrit par Sophie Astrabie