C’est la rentrée scolaire. Il va y avoir des professeures qui seront appelées professeurs et qui enseigneront que “le masculin l’emporte”. Elles parleront d’orthographe bien sûr, mais le soir, en révisant leurs leçons, les petites filles répéteront “le masculin l’emporte”. Alors forcément ça rentrera dans leur tête. 

“Les trois filles et le garçon sont intelligents.” Il y a trois filles et seulement un garçon, alors pourquoi dire “intelligents” plutôt que “intelligentes” ? Parce que le masculin l’emporte. Même sur les maths.

Elles ne feront pas d’erreurs ces petites filles. Ni même ces petits garçons, qui apprendront religieusement que le masculin l’emporte. Mais si pendant la récréation, ils arrivent tous les deux en même temps au niveau de la seule et unique balançoire, pourquoi la petite fille ne céderait pas machinalement sa place ? Après tout. Puisque le masculin l’emporte.

Il y a ceux qui diront que ce ne sont que des mots, que ce n’est pas littéralement ça, que ça veut dire. Et puis il y a ceux qui comprennent que tout est une question de subtilité, justement. Que la vie, elle est pareille pour tout le monde. C’est juste notre perception qui change.

Les choses évoluent, c’est vrai. Il y a la féminisation des mots. Celle qui fait mal aux oreilles apparemment. Même quand on le chuchote, même quand ce n’est qu’écrit. Il faut croire que certaines oreilles sont très sensibles, même quand c’est les yeux qui s’en chargent.

 

On dit facteur et factrice. Et ça va.

On dit acteur et actrice. Et ça va aussi.

On dit auteur et autrice. Et là, ça ne va plus. Apparemment, autrice, ce n’est pas beau.

 

Ce n’est pas le mot le problème, c’est ce qu’il implique. Autrice, c’est une femme qui écrit. Et pendant très longtemps, ce n’était pas autorisé, ce n’était pas bien, ce n’était pas normal. Alors autrice, ce n’est pas “normal” non plus de l’entendre.

Mais pourquoi y aurait-il des lectrices et pas des autrices ? Les femmes ne sont-elles que des spectatrices ? L’esthétisme, ce n’est rien d’autre que de l’habitude.

Pendant longtemps aussi, la féminisation changeait le sens d’une définition. Il ne suffisait pas d’ajouter un “e” à la fin d’un mot, pour obtenir le même sens au féminin. Non. Ajouter un “e” à la fin d’un mot, c’était changer un homme en objet. Comme dans la Belle et la bête. Une sorte de mauvais sort.

 

Cuisinier

nom masculin : Personne qui a pour métier de faire la cuisine.

Cuisinière

nom féminin  : Fourneau de cuisine, composé d’un four et d’une table de cuisson.

 

Chauffeur :

nom masculin : Personne dont le métier est de conduire un véhicule automobile.

Chauffeuse :

nom féminin : Siège bas, confortable, sans accoudoirs.

 

Serait-ce de là, que viendrait le terme de femme objet ? Pourquoi pas après tout. 

Dans son livre “Fille”, Camille Laurens explore le langage. Justement, elle note que le terme “fille” veut dire que l’on est une fille mais aussi la fille de quelqu’un. Alors que le garçon sera un garçon et un fils. Et ça marche aussi pour femme, qui devient la femme de. Quand l’homme devient le mari de. C’est dingue quand on y pense. D’emblée, nous appartenons. D’office, il n’y a qu’un seul mot pour la pluralité que nous sommes.

C’est la rentrée scolaire. Les garçons jouent sur un grand terrain de foot au milieu de la cour, les filles discutent tout autour. C’est un détail, aussi la place des choses. Mais un détail qui dispose les garçons au centre de l’attention quand les filles, elles, se retrouvent en périphérie. Quelle est notre place à nous, au juste ? Qu’elle est celle que l’on nous donne ? Celle que l’on s’autorise à prendre ?

À Rennes, des établissements ont déplacé le terrain de foot sur le côté.

 

C’est un détail. Une subtilité. Quelque chose qui se voit mais qu’on ne voit pas forcément. Quelque chose qui pourrait faire que le masculin, ne l’emporte pas toujours. Que le masculin et le féminin soient enfin à égalité. 

 

 

 

 

Article rédigé par Sophie Astrabie.