Pendant ces deux confinements, j’ai fait le tour de mon appartement.

Il y a cette fissure sur l’angle droit de la cheminée qui m’exaspère depuis le premier jour. Il y a cette trace sur les rideaux qui ne partira jamais. Et puis cette lame de parquet, la quatrième après la porte du couloir, qui craque comme une coque de bateau.

 Et puis il y a ce que je ne regarde plus parce que je sais ce que je vais y trouver. Sous le tapis par exemple. Forcément de la poussière.

Il y a quelques jours, j’ai découvert un petit escabeau dont je ne me servais plus. Je l’ai déplié et je l’ai installé au milieu de la pièce. Et alors j’ai vu les choses différemment. J’ai vu ce que j’avais toujours vu, mais sous un autre angle. Le soleil qui transperce la vitre et qui, à 12h58 éclaire parfaitement le vase posé sur l’étagère. Le voisin du dessus qui joue du piano, Lettre à Élise, chaque mercredi entre 17 et 18 heures. Et ce cadre, ce joli cadre dont je me suis tant habituée que j’en oublie sa beauté.

Pendant ces deux confinements, j’ai fait le tour de mon appartement. J’ai vu ce que j’avais toujours vu et puis j’ai découvert ce que j’avais toujours observé, sous un autre angle.

 

L’autre jour, une dame m’a écrit pour me dire qu’elle venait d’arrêter de suivre une personne sur Instagram qui avait critiqué “Le père Noël est une ordure”. Elle m’a dit “les gens ont besoin de s’acheter un second degré”  et j’ai dit “heu d’accord”.

Franchement, je ne sais pas pourquoi elle m’a dit ça. Je ne suis pas présidente du Fan Club de Thierry Lhermitte ou de Christian Clavier et je n’ai pas d’avis sur le Père Noël que je n’ai personnellement jamais rencontré. Après tout, peut-être que c’est une ordure :  j’attends toujours une maison Playmobil. Mais je suis allée voir cette story en question car j’ai reconnu le compte d’une femme que je suis, et que j’apprécie.

Dans cette story, la personne que nous appellerons Pauline car c’est comme ça qu’elle s’appelle, disait qu’elle venait de regarder “Le Père Noël est une ordure” avec sa fille de 10 ans et qu’elle avait été déçue par rapport au souvenir qu’elle en avait. En fait, dit-elle, le film est homophobe, transphobe, très limite concernant les violences conjugales et sûrement plein d’autres choses dont je ne me souviens plus.

Pour moi, “le Père Noël est une ordure” est un film drôle sur lequel on rit en famille le premier samedi de décembre depuis 1982. Mais c’est vrai aussi, que ce film j’ai dû le voir à 8 ans, bien assise entre un papa blanc et une maman blanche. Et on sait tous que quand on est enfant, ce qu’on préfère dans les films drôles, c’est quand nos parents rient et qu’ils le font ensemble.

J’ai essayé de me souvenir du film et je me suis dit que ce ne serait pas étonnant que ce film soit homophobe, transphobe et qu’il banalise la violence faites aux femmes. Déjà parce que Pauline est une personne intelligente, et que je la croirais plus volontiers qu’une personne qui se désabonne parce qu’on a critiqué un film qu’elle aimait bien. (Faut-il écouter uniquement les gens avec qui nous sommes d’accord ?) Et puis parce qu’il y a des scènes qui me reviennent comme des flashs et qui me semblent tout à coup limites.

 

On pouvait rire de ce film à cette époque et ce n’est pas grave si nos parents ont ri. Ce n’est pas grave si on rit encore aujourd’hui. Je veux dire, bien sûr que l’on fait ce qu’on veut tant qu’on n’enfreint pas la loi et qu’on ne blesse personne. Mais montons tout de même sur notre petit escabeau et regardons ce que nous avons toujours regardé sous un autre angle.

Ce n’est pas grave non plus de faire le deuil d’un film qui nous a fait rire toute notre enfance. Les rires sont à la fois derrière nous et en nous, maintenant que nous les avons vécus. Nos rires nous appartiennent. Tout comme ce moment entre nos deux parents que nous avons tant aimé. Ce qui reste c’est le souvenir pas la blague de Thérèse.  

Il y a des choses immuables. Des choses qui ont toujours été. Et puis des choses sur lesquelles nous devons poser notre regard d’adulte quitte à renier un peu l’enfant que nous avons été. 

La curiosité, c’est aussi suivre les gens avec qui nous ne sommes pas d’accord. C’est monter sur un escabeau au milieu de son salon et regarder différemment ce que nous avons toujours vu. La curiosité c’est écouter cette dame qui voudrait qu’on s’achète un second degré quand on aimerait qu’elle s’achète une ouverture d’esprit. C’est essayer de comprendre pourquoi certains sont blessés quand nous, nous ne le sommes pas. 

Ce n’est pas parce qu’on a toujours vu les choses d’une manière, que cela ne peut pas changer. Montons sur notre escabeau et regardons nos proches, ceux que l’on aime, ceux que l’on n’a jamais aimés. Lisons les livres de ceux que l’on trouve trop radicaux. Élevons nous tout seul, maintenant que nous sommes des adultes entre lesquels un enfant se réfugie.

 

 

 

 

 

Article écrit par Sophie Astrabie.

 

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