Vous le savez, j’aime bien vous parler de sport. Sûrement mon passé de sportive de haut niveau me direz-vous. C’est vrai que 16 sur 20 en badminton au Bac, c’est pas mal quand même. Ça mérite bien la ligne sur mon CV que je lui ai consacré en tout cas.
Bref.
Il s’est quand même passé quelque chose d’incroyable le week-end dernier. Quelque chose dont il serait difficile de ne pas parler.
Teddy Riner, le judoka qui aime bien les Pitch, a connu sa première défaite en 155 combats. 155 combats les amis. Je ne sais pas si j’ai déjà réussi à faire quelque chose 155 fois dans ma vie. Je ne sais même pas si j’ai déjà fait quelque chose 155 fois tout simplement. Par contre ce que je sais, c’est que j’ai déjà essayé le judo une fois et ça va merci, mais les trucs fatigants, bof.
Bref.
Plus de neuf ans que ce petite bonhomme de 2 mètres 04 montait sur le tatamis, et gagnait. Neuf ans que le judo français regardait la même histoire. Le même début, la même fin. Même les spectateurs savaient exactement ce qu’ils avaient à faire. Une sorte de routine de la victoire.
Applaudissement – encouragements – “Teddy!Teddy!” – petit bâillement – cris de joie – bras levés au ciel – rangement de pancarte – retour à la maison – poulet du dimanche.
Il parait que les commentateurs étaient à deux doigts de toucher une prime de pénibilité au travail. Lassitude.
Bref.
Il y a une chose que l’on peut dire sur Teddy Riner. Pendant 9 ans, il a été premier de classe. Chouchou des profs, rois des conseils de classe… Et puis là, d’un coup, ippon.
C’est comme un redoublement mais en plus douloureux.
Cela m’a fait penser au syndrome du premier de classe. Ce syndrome, c’est d’avoir toujours été bon élève, d’avoir eu des bonnes notes et d’avoir bien compris les codes de la scolarité. Finalement, c’est avoir été sur les rails de la bonne conduite du primaire avec l’apprentissage de la lecture et du calcul, jusqu’au lycée avec l’obtention du baccalauréat. Ce bac obtenu sans trop de difficulté, mais tout de même, avec le stress de le rater. Bon élève donc, nous disions.
Je me souviens parfaitement d’avoir été une enfant stressée de réussir. Stressée par les devoirs, stressée par les contrôles, stressée par mes notes et stressée par celles des autres. L’insouciance de l’enfance vous voyez ? Et bien pas moi.
Malgré tout, j’aimais l’école. Ou peut-être étais-je censée l’aimer, puisque j’étais bonne élève. Quelle différence entre ce que l’on croit et ce qu’on nous oblige à croire ? Au final, on croit, non ?
J’ai donc passé un concours (en stressant), j’ai obtenu l’école que je voulais (que je voulais ? ou la mieux classée ? ) et j’ai fait des études dites longues avec cette volonté d’être parfaite dans tous les domaines, tout le temps. Sauf que, il est plus facile d’être LE bon élève au CP que dans un amphithéâtre de 200 étudiants qui sont là parce qu’ils étaient le bon élève du CP, n’est ce pas ?
Mais disons que malgré tout, j’ai continué à valider mes semestres, stressée mais toujours sur mes rails.
Tout ce que je vous raconte, ça s’appelle l’anxiété de performance. Et tout ce parcours, c’est une forme de dette à payer vis à vis des attentes de la société et des proches, pour cette “bonne élève” que j’étais. L’exemple typique c’est l’étudiant qui fait polytechnique parce-que hey, refuser polytechnique, c’est pas polie.
Ne pas exploiter ses capacités, c’est du gâchis. En tout cas pour les autres.
Ça me fait penser à ces femmes qui ne veulent pas d’enfant et qui s’entendent dire “mais… pensent à toutes celles qui ne peuvent pas en avoir !”
Bref.
Ce que je veux dire c’est que bien souvent, le ippon arrive à la fin des études.
Quand il n’est plus question de se prendre pour Mario et de passer simplement au niveau suivant. Quand concrètement, il faut faire le métier pour lequel on a été préparé, ce métier dans le prolongement de ces études plus ou moins “élitistes”.
Mais le ippon arrive aussi plus tard. Quand on s’est enfin affirmé. Avec le cap des 30 ans. Avec le premier enfant. Ou quand on s’est prouvé ce qu’on avait à (se) prouver.
On vit dans un monde où il y a un système de valeur, une hiérarchie des actes. Et bien souvent, c’est cela qui conduit nos choix. Travailler dans un bureau devant un ordinateur, il parait que ça fait bien. Être caissière, il parait qu’il faut nous souhaiter “bon courage”
Faut-il forcément être le meilleur de soi-même ? Sûrement que non. Ce n’est pas parce que l’on peut, qu’il faut.
Un bon ippon et ça remet les idées en place.
Article par Sophie Astrabie