Vous connaissez le principe des défis mensuels sur les réseaux sociaux ?Ceux qui vous invitent à ne plus boire une goutte d’alcool en janvier ou à faire du gainage chaque jour de juin ou à poster des vidéos 30 jours d’affilée.

La semaine passée, j’ai vu circuler un défi pour le mois d’octobre : rester en vie jusqu’au mois de novembre. J’avoue avoir éclaté de rire.

Il faut dire qu’entre l’actualité sidérante sur le plan humain et environnemental, le changement d’heure prévu ce weekend, les projets professionnels qui s’accélèrent alors qu’on pensait avoir déjà tout donné depuis la rentrée et les virus distribuant des pics de fièvre à tour de bras dans les écoles des enfants, octobre pèse lourd sur nos épaules (musclées et déterminées, certes, mais pas en béton armé non plus).

Alors comment faire mieux que survivre et pourquoi en parler ici ?

Il y a quelques mois, j’avais été choquée (et un peu envieuse, en vérité) d’apprendre qu’après une réunion compliquée, mon mari avait quitté le bureau en pleine journée. Il s’était offert un déjeuner seul dans un bon restaurant, avait acheté ses revues préférées et annulé ses rendez-vous de l’après-midi. Avant de retourner au bureau le lendemain, sourire aux lèvres et solutions en main.

À des années lumières de cette approche épicurienne, une amie m’a annoncé cette semaine son passage « aux quatre cinquièmes ».
(Moi) — Génial ! Tu vas enfin pouvoir prendre tes cours de dessin !
(Elle) — Pas du tout. Je ne m’en sors plus, entre le boulot, la maison, les courses et les repas des petits, je me couche trop tard tous les soirs, je veux juste plus de temps pour le faire tranquillement.
Mon amie épuisée a donc pris la décision d’être payée encore moins pour consacrer plus de temps encore aux siens. Octobre, quand tu nous tiens.

Tant de femmes autour de moi donnent sans compter et je serais bien en peinede les juger : vouloir se rendre utile est une drogue dure, le fruit d’un conditionnement social puissant.
Un coup de main au collègue de droite en galère, un autre à celui de gauche pour être sympa, ces projets pro en trop que l’on ne refuse pas (« Si je dis non, ils ne penseront plus jamais à moi. »), le personnel de l’école qui appelle toujours la maman en premier. On crée ainsi des cohortes de femmes pressées, de femmes stressées, de femmes qui tentent de tout maîtriser, convaincues d’avoir pris du temps pour elles lorsqu’elles courent chez le coiffeur ou l’esthéticienne.

Tout au bout du mois d’octobre se profile le burn out, qui touche plus souvent les femmes que les hommes. La charge mentale, l’absence d’émotions, l’anxiété. La culpabilité aussi, fidèle au poste dès qu’une femme parle de partir seule se reposer quelques jours.

Fort heureusement, dans mon entourage proche, il y a aussi des dirigeantes, des fondatrices, des artistes et des rebelles qui ont compris que pour rester créatives, maintenir leur énergie et vivre pleinement chaque journée, il faut se ménager des temps improductifs. Créer du vide autour de soi. Se rendre à une expo en fin de matinée, acheter des crayons de couleur et griffonner au hasard, tenir un journal que personne ne lira jamais, marcher deux heures en forêt. Sans attentes, sans contreparties. Pour le plaisir exclusivement.

Ces femmes savent que prendre le temps d’exister en dehors de tout impératif de productivité n’est pas un luxe mais une nécessité. Car pour faire face aux enjeux lourds du monde sans se recroqueviller, pour libérer nos cœurs et nos cerveaux saturés, pour rester vivantes et engagées, il n’y a qu’une solution : s’offrir, à doses puissantes et régulières, un peu de légèreté.

Julie Allison