Je n’ai plus de très bons rapports avec Facebook. Je trouve qu’il y a trop souvent l’équivalent d’un repas de famille trop arrosé, organisé sur mon fil d’actualité. Des discussions où tout le monde donne son avis sur à peu près tout. La politique surtout, la politique aussi, ah et puis la politique. Alors je n’y vais plus.
Ou alors si. Je vais parfois sur Facebook, mais seulement quand je reçois une notification pour me parler d’un souvenir. Vous savez le fameux “ce jour-là il y a 6 ans”. Et bien ça, j’aime bien. Cela me permet de mesurer mon évolution vestimentaire, physique (principalement l’épaisseur de mes sourcils) et puis aussi, durant cette période particulière où l’arrière plan de toutes nos photos ressemble étrangement à la tapisserie de notre salon, ces souvenirs me permettent de me souvenir. Comme quoi. La vie est décidément bien faite.
J’étais où il y a 5 ans ? Je faisais quoi il y a 8 ans ? À quoi ressemblait ma vie avant 2020 ?
L’autre jour, Facebook m’a rappelé un souvenir que j’avais un peu mis de côté : une vidéo de moi téléchargée sur ce réseau social mais gardée privé. Je ne sais plus exactement pourquoi j’avais utilisé cette méthode, mais je ne doute pas que ce soit dû à ma grande maîtrise de la technologie. (No comment)
Il y a 6 ans, j’avais décidé de démissionner pour écrire un livre. J’avais écrit un livre. Et donc le livre avait été écrit. Et dans la vie, quand on passe de la voix active à la voix passive, c’est qu’il faut se poser des questions : je n’étais plus le sujet de ma phrase. Je n’étais plus le personnage principal de ma vie. Il fallait agir. Alors j’ai à nouveau cherché un travail.
Je me disais que si j’avais démissionné du marketing, ce n’était pas pour retourner dans ce domaine. Je me posais beaucoup de questions sur l’entreprise, sur ma place dans l’entreprise, sur la place que je voulais donner à l’entreprise dans ma vie. Et c’est comme ça que j’ai cherché un poste de professeur. Professeur de quoi me direz-vous ? Et bien de flûte à bec bien sûr. Non, je plaisante. D’anglais. J’ai étudié et travaillé deux ans à Londres, j’adore cette langue, je la parle plutôt bien. Bingo ! I can do it. (Je vous ai convaincus je le sens.)
Donc je postule à un poste de professeur d’anglais vacataire dans une école d’informatique post bac située dans la petite couronne parisienne. Mon travail consiste à préparer une promotion au TOEIC. J’ai cinq classes organisées par niveau. Le premier groupe n’est pas au courant de ce qui vient juste après “one, two, three”. Le dernier groupe lit Shakespear dans le texte. Pire l’un d’entre eux a même une licence d’anglais.
Mais ça je ne le sais pas encore.
Je ne le sais pas encore car d’abord, je dois passer un entretien d’embauche et convaincre que je suis capable d’être le professeur d’anglais d’élèves, qui ne voient pas l’intérêt de parler cette langue. Je rencontre une jeune femme et un jeune homme tous deux responsables pédagogique de la structure. J’ai un peu peur mais très vite je me rends compte qu’ils ne parlent pas anglais. L’entretien se fait donc en français. Et ça va, je le parle depuis ma naissance.
Ensuite ils me donnent un questionnaire auquel je dois répondre en anglais. Je m’isole dans une salle, je complète le questionnaire, je leur remets et puis je pars.
Sauf qu’au moment de monter dans le métro je me rends compte d’un truc horrible : j’ai répondu aux questions EN FRANÇAIS. Autrement dit, je n’ai pas prononcé, écrit, lu un seul mot d’anglais pour un poste de professeur d’anglais. Je me décompose, j’ai honte aussi, surtout. Ce travail, c’était une porte d’entrée de rêve dans le professorat. Et je viens de me tirer une balle dans le pied.
J’arrive chez moi et je passe dix minutes la tête entre mes mains à me répéter “ce n’est pas possible. It is not possible”. Je tente de me consoler en me disant que peut-être, c’est le destin, je n’avais pas les capacités pour ce poste. Mais je me dis aussi que dans la vie, il faut sortir de sa zone de confort, que c’est normal d’avoir peur et de ne pas se sentir à la hauter. Je m’endors en pleurs, tout habillée sur le canapé. C’est faux, mais c’est assez romanesque donc je garde.
Le lendemain matin, au réveil, je suis sur-motivée. J’applique cette phrase qui deviendra un de mes mantras 6 ans plus tard. D’ailleurs Facebook devrait aussi montrer des souvenirs du futur : “ce jour-là, six ans plus tard”, ça nous aiderait à garder le cap.
Cette phrase, c’est la suivante : c’est important de se dire qu’on peut échouer et réussir après.
Alors je me lève, je m’habille, je m’apprête et puis je fais cette fameuse vidéo face caméra dans laquelle, j’explique, en anglais, à quel point il est important de suivre les consignes pour réussir dans la vie. Je parle à des élèves imaginaires en utilisant mon plus bel accent et beaucoup d’autodérision. J’enregistre le chef d’oeuvre grâce à Facebook donc et je l’envoie aux deux personnes qui m’ont reçue en entretien et à quelques producteurs de cinéma. Pour le second je ne sais pas car c’est faux, mais pour les premiers ils m’ont rappelé. Et j’ai eu le poste.
On peut donc échouer puis réussir après. Mais rarement en gardant les mains dans les poches.
PS : ils ont tous eu le score qu’ils devaient atteindre au TOEIC. Sûrement dû au respect des consignes.
Article écrit par Sophie Astrabie.