Dans la salle d’attente du centre d’échographie, deux femmes patientent.

Elles ont échangé ce « bonjour » indifférent que l’on adresse aux inconnus, vernis de civilisation sans désir de conversation. L’une sourit en pianotant sur son téléphone ; l’autre tourne les pages d’une revue, le geste mécanique et le regard vide.

« À nous madame, suivez-moi ! » Assise dans le fauteuil de consultation la première raconte, volubile. Le projet d’enfant, les longs mois d’attente, l’application de suivi de son cycle ovarien, le cri de joie il y a dix semaines. Elle meurt d’envie de l’annoncer enfin, ressent fatigue et nausées, esquive les verres de vin comme les dîners.

L’examen débutant, sonde, gel, gants. « Voici déjà le sac gestationnel« . Il zoome, elle sourit largement, visage tourné vers l’écran. Mais l’atmosphère change et le médecin ne dit plus rien. Le silence est assourdissant. Il manque un bruit de coeur qui bat.

La seconde femme en salle d’attente a rongé ses ongles, entortillé ses longs cheveux et choisi à la machine un chocolat chaud désormais froid. Du sac à dos à ses pieds dépasse le manuel de physique du lycée.

« Je vous écoute« , dit le médecin quand vient son tour. Elle explique, avec ses mots adolescents, la première fois, la seconde, puis l’accident. La voix tremble, ils se sont pourtant protégés. Mais ses règles ont pris du retard, sa poitrine s’est tendue et le signe + du test en pharmacie hante comme un cauchemar chaque nuit.

La sonde du médecin explore : un coeur bat fort, les larmes déferlent. « Je ne l’ai dit à personne, ils ne comprendraient pas. Je passe mon bac cette année, je n’en veux pas« .

Au cabinet médical ce jour-là, une femme pleure un enfant qui ne sera pas, une autre déplore un embryon qui ne devrait pas se trouver là. Ces deux femmes ne se connaissent pas, leurs trajectoires ne se ressemblent pas. Toutes deux pourtant vivent soumises à cette injonction folle, ce on n’en parle pas, hérité d’un temps où il fallait avant tout se taire lorsque l’on était du sexe féminin.

On ne parle pas d’une grossesse avant l’échographie du troisième mois, à quoi bon évoquer quelque chose qui ne se voit pas ?

On ne parle pas par d’avortement spontané, c’est un non évènement, d’ailleurs comment une « fausse » couche pourrait-elle produire un vrai deuil ?

On ne parle pas d’interruption volontaire de grossesse, ni des obstacles que l’on s’oppose à des femmes déjà fragilisées : délais de prise en charge, réticence du corps médical, réprobation sociale.

Ce dont on ne parle pas n’existe pas, c’est beaucoup moins dérangeant comme cela. Mais le silence n’aime pas être seul et lorsqu’il s’installe, c’est en colocation avec la honte et la tristesse, en prenant soin de convier la régression du droit des femmes à disposer de leur corps et à choisir leur vie.

Alors je souhaite à ces deux femmes d’avoir le courage de parler. De dire le vide vertigineux qui suit une grossesse espérée, les cris du corps qu’il faut sans cesse masquer, le courage de refuser l’embryon qui s’est invité. La parole libère autant qu’elle crée des liens et nous sommes aujourd’hui nombreux à pouvoir leur répondre en retour, « cela m’est arrivé aussi« , « je comprends ce que tu vis« , « merci de l’avoir dit » .

Article écrit par Julie Allison

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