À l’écran, des enfants ramassent des balles par équipe de deux, une fille et un garçon à chaque fois. On leur a promis une récompense, alors ils mettent du cœur à l’ouvrage, s’entraident, se complètent.

La séquence qui suit les montre yeux fermés et mains tendues, prêts à recevoir ce qui s’avère être pour chacun un verre contenant des bonbons. On entend des cris d’excitation. Mais alors que les coéquipiers se tournent l’un vers l’autre, l’incompréhension remplace la joie sur les visages : dans chaque

équipe, la fille a reçu moins de bonbons que le garçon.

L’expérience sociale, car c’est bien ce dont il s’agit, devient alors intéressante : le malaise des enfants est mutuel. « Pourquoi ? » demande une fille. « Elle a fait le même travail que moi, elle devrait avoir la même chose », explique un garçon, « parce que sinon ce n’est pas juste ! ». Les enfants s’emploient à répartir leurs gains équitablement, puis rassérénés et souriants, partent déguster leurs bonbecs. Clap de fin.

La vidéo a été filmée en Norvège, elle date de 2018, mais la semaine passée, quand le Haut conseil à l’égalité entre les hommes et les femmes a tiré dans son rapport le signal d’alarme sur la persistance des comportements sexistes, c’est à ces images que j’ai repensé.

« Ce n’est pas juste ». Cette notion de justice, cette évidence justesse chez les enfants, que devient-elle en grandissant ? Qu’advient-il de cette conscience instinctive que le bonheur est plus savoureux quand il est partagé ? Et surtout, cette différence de traitement qui nous heurte à l’écran, pourquoi l’acceptons-nous quotidiennement ?

Le sexisme « ordinaire » est particulièrement mis en cause dans le rapport du HCE.

Celui que vivent les adolescentes, dont il a été démontré qu’elles reçoivent en moyenne quatre euros de moins en argent de poche que leurs alter ego masculin.

Celui qui prend de court mon amie, cheffe d’entreprise, quand ses prestataires demandent la signature de son patron.

C’est le sexisme involontaire vécu par la majorité de mamans qui portent la charge des rendez-vous médicaux des enfants et des réunions de parents.

Celui de l’homme alcoolisé qui vocifère en pleine rue « Salope. La salope ! ».

Celui enfin, que perpétue le dirigeant désireux de recruter une femme sur un poste clé et qui pense avant de lui parler « elle a vraiment l’air jeune, elle ne saura pas s’imposer ».

Alors que faire ? S’écharper sur les statistiques, diffuser sur les réseaux des opinions aussi clivantes que bâclées, hommes oppresseurs d’un côté, femmes opprimées de l’autre ? Certainement pasBaisser les bras ? En aucun cas.

Car la plus insidieuse des injustices, c’est celle que l’on ne détecte même plus tant elle est banalisée. Celle que l’enfant se permet d’interroger, lui qui n’est habitué à rien : Pourquoi ? Pourquoi moins de bonbons pour elle et plus pour moi ? Pourquoi maman a-t-elle peur de rentrer seule le soir ? Pourquoi un homme saurait-il mieux diriger que la femme qui se tient à ses côtés ?

Le Haut conseil pour l’égalité appelle de ses vœux un plan d’urgence, dont on espère qu’il portera ses fruits.

En attendant, et si on s’attachait à regarder le monde avec des yeux d’enfants et à demander le plus souvent possible : Pourquoi ?

Parce que sinon ce n’est pas juste.

Et que l’on se sentira tous et toutes bien mieux quand les bonbons seront répartis équitablement.

Julie Allison