Quand la Maison Henessy l’appelle pour prendre le poste de Responsable des exploitations viticoles, Mathilde Boisseau (talk FCC #33 Paris) ne se doute pas encore qu’elle est sur le point de changer de vie. Pourtant, deux ans plus tard, elle rejoint le Comité de Dégustation en tant que Compagnon Dégustateur et devient par la suite Membre du Comité de Dégustation. Sur le Comité de Dégustation, voilà ce que certains en disent :
« Le comité de dégustation, c’est une vie monastique.
On s’engage et c’est fini. »
Une vie monastique, qu’est-ce que ça veut dire au juste ? Et puis surtout, pourquoi accepter cela, dans un monde où la liberté semble être l’une des valeurs les plus valorisées ?
Solitude, règles strictes, vie austère, sacrifice… voilà à quoi on pense lorsque l’on entend le terme “vie monastique”. Tout l’inverse du séjour “all inclusive” dans un hôtel de luxe à deux pas d’une plage à l’eau turquoise dont il nous arrive si souvent de rêver entre les lignes de notre fichier Excel.
Pourtant.
Pourtant, sans aller jusqu’à la vie monastique, de plus en plus de personnes tentent l’expérience de la retraite.
Une retraite. Se retirer du monde le temps d’une semaine, faire voeux de silence, entamer une digital detox, se recentrer sur soi… Faire l’expérience de la solitude, la vraie, pas celle qui peut être perturbée par une sonnerie de téléphone.
Qui sommes-nous réellement ? Pas “nous” par rapport aux autres, pas “nous” en présence des autres, “nous” intimement. “Nous” quoi qu’il arrive. “Nous” dans le silence.
Est-il encore possible de le savoir en vivant dans un monde aussi bruyant, aussi connecté, aussi rapide ? Cette question du rapport à soi, je me la suis posée cet été quand je suis partie en vacances dans un petit village en Italie. Le matin, quand je quittais mon logement, je passais devant une vieille dame assise sur une des marches de sa maison. Le soir, quand je rentrais, elle était toujours là. Seule, assise, les mains vides. Elle regardait les gens passer. Depuis combien de temps avait-elle ce rituel ? Mais surtout, à quoi avait bien pu ressembler sa vie ?
Ce jour-là, je me suis dit que notre vie, déjà si différente de celle de nos parents, n’avait absolument rien à voir avec celle de nos grands-parents. Mais surtout, je me suis demandée s’il était possible de vivre toute une vie comme nous le faisons, en supprimant le silence et l’ennuie de notre quotidien.
J’ai alors voulu questionner tois filles qui ont décidé de se retirer du monde. Trois filles qui ont voulu prendre leur retraite.
Claire, 30 ans.
“Je pensais à la retraite depuis longtemps. On m’en avait parlé et c’était quelque chose qui m’intriguait. Plutôt comme une expérience à vivre. Un challenge. J’ai franchi le cap parce que c’était une période de ma vie où je venais juste de quitter mon entreprise et je trouvais que c’était une bonne manière de faire une transition. J’aimais ce côté symbolique. C’était aussi le bon moment parce que j’avais du temps. Jusque là, il m’était difficile d’imaginer poser une semaine de vacances pour faire une retraite.”
“Ma retraite était une retraite catholique dans un foyer de charité à quelques pas du Mont Blanc. C’était quand même très tourné vers la religion, ce que je n’avais pas forcément compris au départ et qui m’a un peu effrayée. Mais j’ai beaucoup discuté avec un prêtre qui m’a rassuré et donné envie de rester. Il s’agissait d’une retraite spirituelle où le principe était de se taire pendant une semaine afin de réfléchir sur sa vie. On est encouragé à couper ordinateur et téléphone, ce que j’ai fait car quitte à faire une retraite, autant aller jusqu’au bout. Là-bas, même si on est une centaine à participer, on dîne en silence. J’ai marché dans la montagne, je suis allée à quelques temps religieux, je lisais aussi.”
“Pour ma part, cette retraite a changé ma vie. J’ai vraiment trouvé que ça m’avait transformée. Là-bas, je suis passée par plein d’émotions. Le fait de le vivre qu’avec soi, qu’en sa propre compagnie. On ne fait pas semblant. Les souvenirs ne sont qu’à soi. J’ai trouvé ça très profond et j’aimerais le refaire. En tout cas, je le conseille à tout le monde. Vraiment.”
Maiwenn, 32 ans.
“Je suis partie en voyage pendant plusieurs mois. J’ai fait le tour de l’Amérique du Sud, de l’Asie du Sud Est et puis de l’Inde. Je sentais que j’étais partie pour une raison mais je ne l’avais pas exprimée. Quand je suis arrivée en Asie, j’ai senti qu’il y avait quelque chose au fond de moi que je devais absolument aller chercher. J’ai alors pensé que la méditation pourrait m’aider. J’avais besoin de me retrouver, de comprendre qui j’étais et d’écouter mon corps… sauf que j’avais l’impression que je ne savais pas le faire.”
“Sur mon chemin, j’ai croisé un américain qui m’a parlé d’une retraite qui avait lieu dans le nord de la Thaïlande et qui durait deux semaines. La première semaine se déroulait dans un temple avec des moines thaïlandais. J’ai appris sur la culture, la religion, la méditation. On avait le droit de parler, on priait au temple, on faisait des choses pour la communauté, on rendait service. On avait des livres à disposition et le droit de parler. Mais pas le droit au téléphone bien sûr.
La deuxième semaine, c’était différent. Là, on n’avait pas le droit de parler. On se levait à 5h du matin, on chantait, on méditait, on avait du temps seul mais on ne pouvait pas parler. On n’avait que deux repas : le matin et le midi.”
“Cette expérience m’a beaucoup apporté. Moi qui aime beaucoup parlé, ça m’a fait aller au fond de moi. Je me suis sentie plus calme, plus apaisée. J’ai appris à sentir mes émotions arriver, à les identifier et à apprendre à les gérer. Comme on était dans la nature, j’ai aussi appris à écouter les bruits des animaux, des insectes… J’y suis même revenue une semaine à la fin de mon séjour pour me recentrer avant de rentrer en Europe.”
Laura, 33 ans.
« J’ai fait une retraite qui s’appelle « jeûne et randonnée », un concept qui vient d’Allemagne. C’est une copine qui m’a motivée pour l’accompagner. C’était la semaine du réveillon et j’avais envie de faire un réveillon différent. Je n’aurais jamais pensé à faire ça un an plus tôt, mais à cette période de ma vie, j’avais envie de tester de nouvelles choses. »
« C’était une semaine dans la Drôme, où l’on était encadré dans ce parcours de jeûne. Il s’est avéré que l’on était 12 femmes et 1 homme, de 19 à 68 ans et un mélange de nouveaux et d’habitués. »
« Le premier jour on a bu une potion immonde dans le but de se purger. Au bout de 3 jours de jeûne, le jour le plus difficile, le corps se met en mode survie car il comprend que la nourriture ne va pas arriver. »
« Le matin on se levait puis on avait le droit de boire de la tisane. On partait ensuite randonner environ 5 heures. Le soir on avait des discussions autour du jeûne, de la raison de notre présence ici… Je ne m’attendais pas du tout à ce que cette semaine m’ouvre sur l’alimentation et sur l’apprentissage d’une bonne alimentation justement. J’ai eu l’impression de faire un total « reset » de mon palais. Le fait d’avoir été privé d’aliment pendant une semaine, ça donne envie par la suite, de tout goûter. »
« Au final, cette expérience m’a rassurée sur la force que l’on a en nous. J’ai été surprise et fière de ce que j’étais capable de faire. Et si un jour je me retrouve prisonnière quelque part, je serais moins inquiète sur mes capacités de survie. »
Alors, prête à de la contrainte pour une « meilleure vie » ? Prête pour la retraite ?
Article par Sophie Astrabie.