Septembre est un mois particulier. Une avalanche de posts sur LinkedIn marque la fin de la trêve estivale, les agendas sont pleins à craquer au bout de quinze jours seulement, et les parents jonglent avec des listes de fournitures scolaires, des réunions de rentrée et des formulaires d’inscription d’une précision à faire pâlir d’envie les services de renseignement.

À ce scénario digne d’un film survivaliste s’ajoute une invitation discrète mais tenace à tout mettre en œuvre pour « réussir » sa rentrée et devenir une version optimisée de soi-même. Une boîte mail interrogée dans les premiers jours de septembre témoigne : – Je suis saturée ! Voyez par vous-même : « Fixer ses objectifs de rentrée », « Boostez votre rentrée », « Comment aborder la rentrée pour être au top ? », « Tout changer à la rentrée ! ».

Au-delà de l’agacement que peuvent provoquer les injonctions à prendre sa vie en main comme si rien n’avait été accompli jusqu’ici, il y a quelque chose d’attendrissant dans ce sursaut d’intentionnalité calqué sur le calendrier scolaire et imprimé à jamais dans nos mémoires : chaque rentrée des classes, avec ses cahiers neufs, ses crayons de couleur bien taillés et ses bulletins encore vierges de toute appréciation, était une opportunité de se réinventer.

Gageons cependant que dans quelques semaines, les résolutions prises en trop grand nombre et dans la précipitation auront eu pour principal effet d’ajouter du découragement à la fatigue. Et si l’enjeu n’était pas de se faire violence pour changer ni de repartir d’une page blanche, mais plutôt de choisir avec soin la façon de raconter sa vie ?

Car nous sommes des êtres de fiction, une « espèce fabulatrice », selon la formule délicate de l’écrivaine Nancy Huston : c’est en inventant des histoires que l’humain transforme sa réalité. « Nous sommes les enfants des histoires que l’on nous a racontées » (Delphine Horvilleur). Dit encore autrement : nos identités se construisent par le récit (Paul Ricoeur).

Prenons Camille, par exemple.
Il y a quelques jours, Camille, un peu ébahie mais ravie, m’a raconté avoir repris le sport, changé de travail et repeint son appartement.
Pourtant il fallait la voir, Camille, il y a encore quelques mois : regard vaincu et sourire en berne, empêtrée depuis des années dans le récit d’un fiancé qui l’a quittée, de son rêve de maternité évaporé. Ajoutez au tableau un management brutal au bureau et le diagnostic d’Alzheimer fraîchement tombé sur sa grand-mère, Camille ne « vendait pas du rêve », comme on dit couramment.

Alors bien sûr, la vie nous en fait voir de toutes les couleurs, et chausser des lunettes roses un jour de ciel noir n’y changera pas grand-chose. Mais ce que l’on choisit de raconter, ce à quoi l’on décide de s’identifier, façonne jour après jour notre existence.

Camille n’a pas pris de résolutions de rentrée, mais elle a repris le fil de son histoire en choisissant de parler chaque jour un peu plus de ses rêves et moins de ses regrets. Jusqu’à quitter en douceur le registre de la plainte pour retrouver le chemin du désir.

« What is now known was once only imagined »* Nicole Rudick, An (Auto)biography of Niki de Saint Phalle

Soignons nos fictions !

*Ce qui est aujourd’hui une réalité fut d’abord le fruit de l’imagination

Julie Allison