Mercredi 24 juillet 2019, 23h47, 33°C.
Couchée sur mon lit, à l’extrême extrémité de celui-ci, je me remets difficilement de mon émotion. Je viens d’avoir un contact physique inopiné au niveau de l’orteil droit avec le deuxième occupant de ces draps, ce qui, dans ces conditions, est aussi agréable qu’une brûlure au 74ème degré.
Je réfléchis.
Au prix d’un effort incommensurable, je lève mon bras droit et je déplie mes doigts, un à un, en susurrant les mois de l’année.
“Août, un, septembre, deux, octobre, trois, novembre, quatre… avril, neuf.”
24 avril 2020.
Si un jour un enfant me dit être né à cette date-là, je saurais que ses parents sont fous.
Car il faut être fous pour faire un enfant dans ces conditions, n’est-ce pas ?
*
Pourtant, en ce moment, j’ai l’impression que ma vie est entourée de ventres arrondis et de filles qui réfléchissent sur leurs doigts.
Et cette question ne cesse de me hanter : comment vouloir l’égalité des genres entre deux êtres si différents ?
Tout commence avec la terminologie.
La grossesse par exemple.
Quel drôle de mot que celui-ci, alors que nous vivons dans un monde grossophobe où l’on gomme le gras sur le corps des filles des magazines. Un mot barbare en quelque sorte, dans une société qui prône une norme parfaite… ment inatteignable.
Mais nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Voilà que cette semaine, je découvre Louise Boyce, une mannequin britannique qui dénonce une pratique que l’on ne soupçonnait pas. La plupart des femmes enceintes sur les magazines ou sur les e-shop…. ne le sont pas. En effet, les marques utilisent de faux ventres sur des filles minces. Résultat, un jolie ventre rond et rien qui dépasse autour… sauf les complexes des futures mamans face à des corps irréalistes.
La grossesse donc. Un mot étrange pour qualifier cette période de la vie où chaque mois un gynécologue vous fait monter sur une balance afin de contrôler votre poids.
« Pas plus d’un kilo par mois mademoiselle », assène-t-il, sans pression.
La grossesse oui, mais pas trop quand même.
Tomber enceinte.
Chaque fois que j’entends ce terme, je ne peux retenir une poussée d’angoisse à mi-chemin de l’expression. Un instant je crois à quelque chose de grave. Quelque chose d’incontrôlable ou de « pas fait exprès ». Tomber ?
Alors qu’en réalité, il s’agit plutôt d’une tendance inverse. Voire, peut-être même, un peu trop inverse. Car c’est ici que nous retrouvons les filles qui réfléchissent sur leurs doigts.
Une femme peut-elle tomber enceinte n’importe quand ?
Pas vraiment.
La plupart d’entre elles calcule. L’ancienneté dans leur entreprise, les périodes creuses dans leur travail, leur envie de nouvelles missions, la probabilité d’obtenir une promotion…
J’ai écouté le podcast Generation xx avec Noélie Balez, co-fondatrice de Pampa, un fleuriste de saison en ligne. Noélie voulait des enfants et créer sa boîte. Alors elle a fait les deux. Son entreprise est en pleine croissance, mais elle décide de “tomber” enceinte. Elle explique dans son interview que cette période de pré-congé maternité, elle l’a occupée à faire le point sur son poste. Elle s’est débarrassée des tâches qu’elle faisait mais qu’elle ne devrait pas faire, elle a embauché les personnes manquantes… Elle a fait une sorte d’audit « forcé » qui pourrait se résumer par “comment me rendre dispensable ?”
Pendant son congé maternité, Noélie a donc pris du recul sur son poste. Mais surtout, elle a fait confiance. Confiance à ceux qui ont repris ses missions, confiance à l’idée même de faire confiance et elle parle de cette période de la vie comme d’une chance. Une chance à laquelle les hommes devraient aussi avoir droit.
Alors oui, tant que les femmes « tomberont enceintes » et qu’elles vivront une « grossesse« , il y aura des inégalités. Mais peut-être que ce sont aussi aux femmes d’opérer le premier changement d’état d’esprit face à cette parenthèse professionnelle en croyant en son bénéfice. En profiter, ne pas s’excuser. Les hommes suivront, j’en suis sûre. Ils suivront parce qu’aucun homme n’est né d’un autre homme. Et que le congé maternité, c’est permettre aux femmes de se rendre dispensables dans un monde où elles ne le sont pas.
Alors ensemble, nous créerons les conditions pour ne plus compter sur nos doigts. En pensant que la seule folie, c’est cette chaleur.
Sophie
Crédit image : Les curiosités de Pauline