Qui vous inspire ? Autrefois réservée aux bilans de compétence ou au jeu du portrait chinois, займ 10000 на карту cette question a envahi nos médias, pour… nous inspirer, justement.
Dans les studios de podcast, on demande à des invités choisis pour leurs parcours inspirants qui les inspire à leur tour, aspirant l’auditeur dans un labyrinthe de miroirs. Un parcours hors norme en cache un autre, puis un autre encore, c’est sans fin.
J’en suis friande, évidemment : quoi de plus énergisant que les histoires de femmes ou d’hommes, admirables par leur créativité, leur résilience face à l’adversité, leur optimisme indéfectible ?
Les réseaux sociaux ont néanmoins amplifié le phénomène de façon spectaculaire et un peu oppressante parfois ; il suffit d’ouvrir Instagram, Tik-Tok ou Linkedin pour que déferlent en vagues des posts dédiés aux carrières de sportifs de haut niveau, aux entrepreneurs à succès de moins de trente ans, aux conseils avisés d’influenceurs de tous bords, gourous improvisés, « lancez-vous, j’ai réussi, you can do it too ».
On produit classement sur classement des personnes les plus inspirantes, celles dont les parcours sont à suivre absolument. On follow, on commente, on admire sans réserve. Un peu sans réfléchir, aussi. L’inspiration flirte avec l’idolâtrie.
Les sources d’inspiration, les « rôles modèles », selon le qualificatif épinglé par le sociologue Robert King Merton pour désigner les personnes que l’on érige en exemple, sont nécessaires. C’est un besoin humain, on se développe au travers des autres : le sourire d’un bébé vers trois mois ne fait que refléter ceux qui lui ont été adressés. On imite d’abord nos proches, puis les héros de nos séries télévisées. « Quand je serai grand(e), je serai {insérez votre idole de l’époque} ».
Savoir que d’autres ont ouvert la voie, qu’une femme a été la première astronaute, que d’autres ont milité pour le droit à l’avortement, qu’un jour l’une d’entre elle a pris la tête d’un groupe coté, est essentiel pour se projeter. On se construit à partir des histoires qui nous sont contées et leur diversité nous protège des dangers d’une « histoire unique » pour reprendre l’expression de l’(inspirante) écrivaine nigérianne Chimamanda Ngozi Adichie.
Un monde sans role modèles féminins par exemple, sans femmes dans les sciences, l’industrie ou la tech, est un monde dans lequel on aurait le plus grand mal à se projeter en tant que femme. L’expérience sur le terrain montre que les lycéennes sont plus nombreuses à s’inscrire en filière scientifique lorsqu’elles ont eu l’opportunité de rencontrer des femmes évoluant dans les sciences.
Mais les sources d’inspiration les plus inouïes deviennent des freins quand on passe plus de temps à s’en émouvoir qu’à construire sa propre trajectoire.
Quand les parcours sont si bien narrés qu’ils en deviennent inaccessibles, quand les figures exemplaires sont si nombreuses que nos cerveaux saturés ne parviennent plus à filtrer celles qui n’existent que parce que l’on consacre du temps à les regarder.
Le risque alors est grand de se dissoudre dans la réussite des autres. De renoncer à ses rêves faute d’avoir trouvé un exemple à suivre exactement. Et s’il était déjà trop tard ? Et si je n’y arrive pas ?
…Et s’il était essentiel, quand le doute s’installe, de bifurquer pour tracer sa propre voie ? Reposer son smartphone, sortir du labyrinthe. Se regarder dans le miroir, se demander « En quoi je crois et qu’est ce que je veux ? ». Et se lancer.
Les pionnières, celles à qui le monde disait que c’était impossible, n’ont pas consacré leur vie à faire défiler sans fin les parcours de rôles modèles inspirants. Elles l’ont fait, tout simplement.