Une des questions que je me pose souvent, c’est de savoir quelle est la part d’inné et quelle est la part de culture dans ce que je pense et ce que je suis. C’est vrai. Qui sommes-nous ? Mais surtout, qui serais-je si je n’avais pas eu ces parents, si je n’avais pas grandi dans ce pays et si je n’avais pas été dans cette école ? À notre naissance, sommes-nous une page blanche ?
J’y pense depuis toujours. J’y pense quand je trouve quelque chose de beau, quand je trouve quelque chose de moche. J’y pense quand je ne suis pas d’accord ou quand les autres semblent avoir tort. Mais depuis que j’ai un enfant, j’y pense chaque seconde, en me demandant quel moule je propose à ce petit être assez malléable pour fourrer son gros orteil dans sa bouche.
Hier, une amie me disait qu’elle ne savait pas à quel point son langage vis-à-vis de son bébé de 6 mois était neutre. Lui parlerait-elle différemment si à la place d’un fils, elle avait eu une fille ?
Vous savez, chez les enfants, il y a cette étape quasi inévitable où ils se mettent à taper. Ils tapent sur des objets mais aussi, sur les animaux et même sur d’autres enfants. Ils ne sont pas très regardant. D’après ce que j’ai compris, le plus important, c’est surtout de taper. Cette amie me racontait, qu’on lui avait dit cette phrase : “les petits garçons tapent plus, c’est normal, c’est les hormones”.
Nous avons écarquillés les yeux, d’abord. Et puis nous avons essayé de comprendre, ensuite.
Les hormones. Il m’a assez vite semblé qu’ici, ce mot sonnait comme une excuse, quand bien souvent, il ressemblait plutôt à un reproche. Question de genre.
Les hormones donc. Ce mot tombait à pic, moi qui me suis lancée comme objectif 2020 de m’analyser davantage au cours de mes cycles.
Mes règles influent-elles sur mon humeur ? J’étais tentée de dire que non. 32 ans que je vis, un nombre de cycles qui ne se compte clairement pas sur les doigts d’une main (à moins d’avoir beaucoup de mains) et être obligée de prendre le temps de m’observer pour avoir des réponses. Clairement, c’est que ça ne devait pas être flagrant.
Et puis mes règles sont arrivées. Et j’ai été insupportable.
Dès la veille, j’ai commencé à me sentir agacée. Et plus je mettais le doigt sur ce phénomène, plus je me sentais irritée. J’ai annoncé à mon mec que je menais une étude anthropologique sur un nombre limité de sujets (=moi) et à partir de ce moment-là, je me suis donnée le droit d’enlever tous mes filtres. J’avais une excuse. Alors dès que quelque chose m’énervait, dès que j’avais un reproche à faire, dès que j’avais une humeur, je l’exprimais. Après tout, je n’y pouvais rien : c’était mes hormones.
Pourtant, il n’y avait rien de différent entre ce cycle et mes cycles précédents. Je n’avais subitement pas changé de personnalité. La seule différence, c’est que jusqu’à présent, l’être social que j’étais, se maîtrisait.
Et c’est là que je me suis rendue compte de plusieurs choses.
La première, c’est que j’avais des hormones et qu’elles influaient effectivement sur mon humeur.
La deuxième, c’est que cela faisait plus de 15 ans que je le niais, et que je gardais ce chamboulement hormonal secret. 15 ans que je me maintenais sur la ligne droite de ma personnalité, lissant les sautes d’humeur, pour obtenir une photo panoramique parfaite à offrir à la société.
Et c’est bien normal, cette maîtrise. Sinon qu’est-ce qui nous retient de ne pas couper les pieds à ceux qui prennent mal les ronds points, franchement ? Mais ce que je veux dire, c’est que les hormones, chez les femmes, ont toujours été un reproche. Et nous avons intégré consciemment ou pas, qu’il fallait les maîtriser, les cacher voire, les nier.
Nous sommes restées douces et gentilles au fil des siècles, même durant ces cinq jours où d’un point de vue scientifique, notre corps et nos flux changent. Et durant lesquels nous évitons les carrefours giratoires.
J’ai réfléchi, encore. Et je me suis dit que l’inné était bien là, mais que la société décidait en permanence ce que nous devions maîtriser et ce qui était excusable. Mais qu’il était temps que cela vaille pour tous les genres. Il n’y a pas d’excuse. Car les excuses sont le meilleur moyen d’accroître les inégalités : petit garçon ou petite fille, on ne tape pas.
Article écrit par Sophie Astrabie.