Cela va faire un an et demi que j’écris des articles pour le Curiosity Club. Un an et demi que je regarde différemment l’actualité afin d’en extraire ce qui pourrait avoir un rapport avec la ligne éditoriale du Club : les femmes.
Je pensais à ça hier, en faisant la vaisselle. Je pense toujours à plein de choses quand je fais la vaisselle car je déteste faire la vaisselle. (Pour info.) Alors hier, les mains dans la mousse, je pensais à toutes les informations que j’avais pu lire dans la journée et j’ai ressenti une forme de découragement immense. Comment est-ce possible ? Comment le monde peut-il aller aussi mal ?
Il y a d’abord eu le titre de ce journal : “Meredith Kopit Levien, une femme à la tête du «New York Times»”. Une femme. Le ou la journaliste a-t-il voulu nous aiguiller sur le genre du prénom Meredith ? Sinon, pourquoi le spécifier ? Parce que c’est la première fois ? Quand bien même. Cette formulation ajoute un aspect exceptionnel à cette information quand la mission de notre société est, il me semble, de banaliser l’ascension des femmes. Pour que nos filles, n’imaginent pas la réussite professionnelle, les postes à responsabilités comme une probabilité infime, une possibilité impossible.
Et puis… pensez-vous qu’un titre tel que “ Jean-Michel Martin, un homme à la tête de « Magrandeentreprise »“ puisse exister ?
Ça m’a fait penser à cette page pastiche de Wikipedia “Une femme” qui dénonce cette formule générale qui essentialise et invisibilise les femmes pour reprendre les mots de Marine Périn de Prenons la Une. Elle a été créée à force de constater ce genre de titre :
« Une femme ». Ce n’est plus une identité, c’est une femme. Une entité. Interchangeable. Anonyme. Encore.
Une femme donc, à la tête du New York Times. Mise à part la forme, le fond est une bonne nouvelle. Surtout pour le New York Times puisque tous s’accordent à dire que Meredith Kopit Levien est brillante.
Je continue de fouiller Internet et je découvre la polémique concernant Roméo Elvis, le rappeur belge, accusé d’agression sexuelle. La polémique, ce n’est pas qu’un homme ait agressé une femme. Non. La polémique c’est que le frère d’une chanteuse qui dénonce les violences faites aux femmes, puisse être un agresseur. Angèle devient dans la foulée TT (trending topic = sujet tendance) sur Internet et Roméo Elvis disparaît des radars. La chanteuse se fait insulter et harceler sur les réseaux sociaux à cause des actes présumés, d’un être humain qui n’est pas elle.
Je pense au livre « Fille » de Camille Laurens, au fait qu’il n’y ait qu’un mot pour dire « une fille » et « la fille de » quand il y a « le garçon » et « le fils de ». Mais apparemment, il y a toujours cette appartenance même quand les mots sont différents. La soeur de. Sommes-nous responsable de nos liens de parenté ? Serons-nous sous tutelle, indéfiniment ?
Je regarde quelques commentaires d’Internautes se défouler comme s’ils n’avaient pas la possibilité d’aller courir pour évacuer leur frustration et un constat me saute aux yeux. J’ai l’impression que la plupart se réjouit d’avoir (enfin) coincé une féministe.
Je fais la vaisselle et je pense à toutes ces personnes que je croise et qui me disent « ah non, je ne suis pas féministe » comme s’il s’agissait d’un mot vulgaire. Comme si c’était une accusation à laquelle il faudrait se défendre.
Cela fait un an et demi que je décortique la presse, les livres, l’Histoire. Que j’apprends les dates, les lois qui ont existé et celles qui existent toujours (la loi interdisant à une femme de porter un pantalon a été abrogée en 2013). Un an et demi que je m’éduque, que je me remets en question, que je réfléchis à ce que la culture et la société ont ancré dans ma tête. À ce qui est naturel et ce qui ne l’est pas. À mes propres biais.
Un an et demi de curiosité, et hier. Hier je me suis sentie découragée.
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Doctrine qui préconise l’égalité entre l’homme et la femme, et l’extension du rôle de la femme dans la société.
Je crois qu’il est grand temps d’accepter la nuance. Une personne peut dire qu’elle n’est pas militante féministe. Mais je nous en supplie. Soyons féministe.
Article écrit par Sophie Astrabie.